Photo du mois
Juillet 2019
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Salvo Buffa

Deux piliers de la communauté discutent au coucher du soleil devant leur village. Hasankeyf a atteint son apogée au XIIe-XVe siècle, lorsque la ville était la capitale des Turcs Artukid et des Ayyubides kurdes. Jusqu'à présent, la ville conserve plusieurs exemples exceptionnels d'architecture islamique. Les monuments mêmes de Hasankeyf ont été sculptés dans le calcaire à proximité, créant un profond sentiment d'harmonie entre la ville et ses environs. Ses canyons sont aussi vieux que la Terre et les grottes qui les façonnent sont aussi vieilles que l'être humain. Aujourd'hui, la même civilisation qui a grandi et prospéré sur les rives du Tigre représente la plus grande menace pour la survie de ces lieux. La première fois que je suis arrivé là-bas, c'était par accident alors que je voyageais à travers la Turquie et que c'était un coup de foudre. Je pense que c’est quelque chose qui arrive quand on trouve un «lieu de l’âme». Quelque temps plus tard, quand j'ai découvert que le village était condamné à l'oubli à cause de la construction du barrage d'Ilisu (une partie importante du projet GAP *), j'ai décidé de revenir recueillir des témoignages et des souvenirs. Une fois les travaux terminés, les habitants de ce village millénaire seront transférés dans une nouvelle ville et leur village sera détruit, submergé par l’eau qui effacera des milliers d‘années d’histoire. Il ne restera que le drapeau turc flottant sur une aiguille de montagne. En tant que photographe, c’est très stimulant de travailler avec l'histoire en devenir, en tant que personne et en tant que Sicilien, je ressens un lien fort avec un peuple se perçoit comme adopté par la nation à laquelle ils appartiennent. J'essaie donc de raconter une attente, faite d'abandons et d'incertitudes, de traduire ce sentiment de suspension des limbes, où la vie coule normalement malgré un présent qui ne laisse aucune place pour l’avenir.
Le barrage Ilısu fait partie du Southeastern Anatolia Project (GAP), mis en place dans les années 70 dans le but de soutenir le développement durable de l’Anatolie du Sud-Est (Kurdistan Turc). Quand il sera terminé, le barrage pourra accueillir une centrale de 1200 MW, et constituer un reservoir de 10,4 milliards de m3, ce qui permettra à la Turquie de contrôler le débit d’eau entre la Syrie et l’Irak. La construction n’a commencé qu’en 2006, mais a vite provoqué une controverse internationale à cause de la planification de l’inondation du village de Hasenkeyf, qui engendrera un processus de réinstallation de 55 000 à 65 000 personnes personnes vivant dans la région. De ce fait, la construction du barrage a perdu l’apport de fonds internationaux en 2008.
En janvier 2015, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a menacé la vie des travailleurs sur le site du barrage. Le 3 février 2015, un convoi de fournitures pour le barrage a été attaqué et blessé à trois personnes. En juin 2019, le gouvernement turc a annoncé la fin des travaux de construction.
Salvo Buffa, Italie
@salvobuffa