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LUMIÈRE SUR : LA COMMUNAUTÉ OUïGOUR

© Raphaël Fournier, extrait de "Around Taklamakan"

RAPHAËL FOURNIER

SIGNES AVANT-COUREURS, 2015

"Les outils utilisés en 2015 étaient parfois subtils et il fallait alors bien observer pour se rendre compte de la réalité."

En 2015, vous réalisez votre série «Around Taklamakan» sur la province chinoise du Xinjiang. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette province et les liens qu’elle entretient historiquement avec le reste du pays ?

 

La province du Xinjiang, « nouvelle frontière » en mandarin, est une province hautement stratégique, c’est la plus vaste de Chine, elle est située sur la Route de la Soie, est frontalière avec huit pays et riche en matières premières. Les investissements chinois y sont donc très importants et le développement économique y est accéléré. Avant d'être durablement intégré à la Chine au 18ème siècle, la grande province de l’ouest a longtemps été sous influence turco-mongole, c’est de là qu’elle tient sa culture. Le Xinjiang a une longue histoire de discorde avec la Chine et plusieurs soulèvements ouïgours contre les Chinois ont eu lieu au 20ème avec notamment la mise en place de la République du Turkestan oriental pendant 5 ans au milieu du siècle, jusqu’en 1949. C’est depuis cette date que la Chine a progressivement instauré une politique stricte de contrôle idéologique, religieux et social. Il est aussi question dès le milieu du 20ème siècle de repeuplement du Xinjiang par des Chinois venus du reste du pays. Je ne connais pas les études démographiques les plus récentes mais je pense que les Ouïgours qui étaient largement majoritaires en 1949 sont aujourd’hui minoritaires face aux chinois Hans.

La province occupe une place centrale dans l’économie chinoise, et 40% du charbon chinois provient des mines du Xinjiang. Comment le gouvernement de Pékin y utilise-t-il la démographie comme un instrument de pouvoir ?

 

La richesse du sol ouïgour en charbon (mais aussi en pétrole et en gaz, environ 20% et 25% respectivement des réserves nationales!) est une source de motivation pour le gouvernement central de contrôler le Xinjiang et ainsi alimenter le reste du pays, principalement les riches provinces de l’Est, en matières premières. Depuis les débuts de la République populaire de Chine en 1949, une politique migratoire a été mise en place, visant à inverser la courbe démographique du Xinjiang et ainsi mieux contrôler la région et ses éventuels soubresauts. Des millions de chinois Han (ethnie majoritaire en Chine) ont ainsi été incités à s’installer en terres ouïgours. Le principal outil d’intégration du Xinjiang au reste de la Chine est une organisation paramilitaire d'État appelée Bingtuan. Son objectif est d’exploiter le territoire pour développer l’économie et assurer sa prospérité et sa stabilité. Le Bingtuan occupe ainsi le Xinjiang en favorisant l’installation de population Han.

C’est ainsi que le développement du réseau ferré au Xinjiang a permis au gouvernement central d’étendre son contrôle sur la province, en construisant de nouvelles villes principalement peuplées de Hans. Les investissements chinois et l’immigration Han sont vécus par les Ouïgours comme une colonisation et un pillage de leurs ressources.

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Une mariée Ouïgour entre dans une voiture.

- Korla, Chine, 15.03.2015.

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Femme ouïgour pendant les répétitions d'un spectacle de danse traditionnelles pour célébrer Newroz, les vacances du nouvel an iranien, également célébré dan les régions kurdes et d'Asie centrale

- Kashgar, Chine, 19.03.15

Comment la confrontation entre les cultures Han et Ouïgour s’exprime-t-elle dans l’espace public ? Et comment avez-vous voulu rendre compte de cette confrontation dans votre série ?

Au-delà des actes de violence comme les émeutes ouïgours de 2009 à Urumqi ou d’autres événements isolés, il y a peu ou pas de résistance ouïgour face à la puissance colonisatrice Han. Je ne parlerai donc pas de « confrontation »  aujourd’hui, les outils utilisés par les Chinois sont bien trop efficaces. 

Visuellement, mon voyage de 2015 ne ressemblait pas du tout à mon premier voyage dans la région en 2003. Les espaces « sinisés »  étaient beaucoup plus importants, l’architecture chinoise très standardisée et moderne est devenue majoritaire au détriment de villes anciennes, la langue chinoise, tant écrite que parlée est devenue très présente, la population a également connu un bouleversement, les Hans étant probablement devenus majoritaires en nombre.

 

La confrontation entre cultures Han et Ouïgour se manifeste donc de différentes façons: renversement démographique (qui se voit dans les rues de la province), l’architecture, le mobilier urbain, les infrastructures typiquement chinoises et donc la disparition de ce qui faisait la culture ouïgour, une présence militaire et policière très importante, un drapeau chinois lui aussi très présent..

En 2015, avez-vous été témoin de premières mesures de répression de. la population Ouïgour. Etait-ce déjà visible dans le paysage ?

Dans ma série, j’ai essayé de montrer ce qui constituait à l’époque, en 2015, les prémices de la situation actuelle, c’est-à-dire une emprise forte de la part du gouvernement central sur la population ouïgour, sa culture et sa religion, par la propagande... J’ai également ressenti à l’époque le besoin de traduire ce qui restait encore de la vie quotidienne ouïgour. Les outils utilisés en 2015 étaient parfois subtils et il fallait alors bien observer pour se rendre compte de la réalité. Un carnet de propagande qui traîne chez une famille, des drapeaux chinois ultra-présents lors de célébrations ouïgours ou dans les rues, les statues de Mao sur toutes les places des villes, des récompenses affichées au-dessus des portes des familles au comportement exemplaire, des manèges représentant des chars chinois, les contrôles de police réguliers... Ça doit être bien différent aujourd’hui et plus agressif.

Il y avait beaucoup de présence policière et militaire dans les rues de la capitale, Urumqi, mais aussi dans les autres villes du Xinjiang. Ces barrages contrôlaient piétons et passants. Je me souviens qu’il était aussi fréquent de voir des contrôles de téléphones portables à ces barrages. En voiture (on circulait en voiture d’une ville à l’autre), les checkpoints étaient également fréquents. À Aksu, je me suis fait arrêter par la police et emmener au poste parce que je prenais des photos sur la place principale de la ville. J’avais un visa touriste mais peut-être des allures de photographe… Bref, certaines photos on dû être effacées et j’ai dû signer un document stipulant que je m’engageais à ne pas être photographe / journaliste et à ne pas prendre de photos sensibles. Je me souviens aussi avoir été invité par une famille pour boire un thé (c’est aujourd’hui totalement inenvisageable tant la pression est grande, c’était encore fréquent en 2015) et avoir trouvé un un petit carnet illustré de dessins de propagande montrant les différents comportements à adopter avec les autorités, mais aussi socialement, ou du point de vue de la religion. Evidemment on ne comptait pas les affiches ou autres types de propagande partout dans la province.

 

Je me souviens aussi avoir été témoin d’une scène assez éloquente et qui montre bien la façon dont le gouvernement central tente depuis des années de s’immiscer dans la culture des ouïgours en jouant sur la corde patriotique auprès des plus jeunes, forcément friands de ce genre de choses. Je marchais dans cette même ville d’Aksu et j’ai remarqué deux petites filles jouant avec un drapeau chinois. Je me suis approché et j’ai remarqué qu’elles mimaient  - et très bien d’ailleurs - le cérémonial du lever de drapeau qui a lieu au lever du jour sur toutes les grandes places des villes du Xinjiang.

 

Enfin, le système de vidéo surveillance était déjà bien en place en 2015 dans le Xinjiang. Je me souviens de portiques sur tous les axes routiers qui flashaient continuellement toutes les voitures qui passaient..

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Le perron d'une maison ouïgour. Sur les petites plaques situées au dessus de la porte, les messages sont en chinois et en ouïgour. Celles-ci sont des "récompenses"de "bonne conduite" décernées aux familles ouïgours par les autorités chinoises et le Parti communiste. De gauche à droite : "famille civilisée", "famille paisible". D'autres récompenses peuvent également être données aux familles qui parlent bien le chinois, ou encore aux familles ouïgours qui respectent le contrôle des naissances. 

- Kuqa, Chine, 16.03.2015.

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Un livre de propagande trouvé chez une famille ouïgour. ce livre aborde des sujets comme la religion, la stabilité, le terrorisme ou encore le gouvernement central - Yengisar, Chine, 24.03.2015.

"Idéologiquement, cette zone ne lui a jamais été acquise, elle s’est rebellée à plusieurs reprises et notamment, en se rapprochant de mouvements indépendantistes et/ou extrémistes. La Chine utilise ce prétexte pour imposer son bon vouloir au détriment de toutes les lois internationales."

Le droit international pénal définit le nettoyage ethnique comme une pratique qui consiste à rendre une zone ethniquement homogène en utilisant la force ou l’intimidation pour faire disparaître de la zone en question des personnes appartenant à des groupes déterminés. Pensez-vous que cela s’applique à la situation actuelle dans le Xinjiang ?

 Je suis ni un expert en droit pénal international ni au sujet de la question du Xinjiang. Néanmoins, il semble évident que le gouvernement central chinois tente actuellement de contrôler la population d’une zone stratégique pour le développement de la Chine entière. Idéologiquement, cette zone ne lui a jamais été acquise, elle s’est rebellée à plusieurs reprises et notamment, en se rapprochant de mouvements indépendantistes et/ou extrémistes. La Chine utilise ce prétexte pour imposer son bon vouloir au détriment de toutes les lois internationales. Je ne sais pas si ce qui se passe en ce moment dans les camps chinois du Xinjiang peut être qualifié de « nettoyage ethnique », je ne suis d’ailleurs pas certain que la communauté internationales ait toutes les informations nécessaires pour se positionner à ce propos, mais ce qui semble évident c’est que les Chinois tentent d’assimiler la population ouïgour en la forçant à abandonner ses pratiques culturelles et religieuses ancestrales (Islam, langue ouïgour, droit à la mobilité, pratique familiale, etc) et en noyant sa population au milieu de millions de Chinois Hans grâce à une politique migratoire de grande ampleur. 

Entretien par Mathilde Azoze et Léo Samir Rougier

Le 27.02.2020

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Un carrousel fait de répliques de tanks chinois - Kashgar, Chine, 22.03.2015

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