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LUMIÈRE SUR :

LA COMMUNAUTÉ OUïGOUR

© Patrick Wack / The Night Is Thick

PATRICK WACK

CONTRÔLE DES INFORMATIONS

"Partout où je suis allé dans la province, j’ai fait l’objet de l’attention appuyée des autorités locales qui sont allées jusque me faire suivre 24h sur 24 dans certaines villes."

La question du territoire est au coeur de votre projet « Out West ». Vous réfléchissez à la question de frontière et faites un parallèle avec le mythe du Grand Ouest américain. En quoi la région du Xinjiang apparaît elle visuellement comme une terre de résistance face à la Chine moderne ?

 

Le Xinjiang a toujours représenté une altérité au sein de la Chine. Lorsque Mao envoie en 1949 l’Armée Populaire pour affirmer une bonne fois pour toute l’emprise chinoise sur la région, elle est dans sa vaste majorité peuplée de minorités turcophones musulmanes : principalement les Ouïgours mais également des Kazakhs, Kirghizes et autres. Les rapports démographiques ont depuis beaucoup évolué étant donné l’arrivée de millions de Chinois Han.

 

Cette altérité démographique, culturelle et religieuse s’exprimait jusqu’à présent de manière très visuelle, la région s’apparentant plus à une Asie centrale tournée vers Istanbul qu’à une province chinoise regardant vers Pékin. C’est cette altérité qui est la cible des politiques de persécution et de rééducation des autorités de Pékin depuis quelques années. De fait, le peuple ouïgour a toujours été imprégné d’un fort sentiment national et est resté tourné vers l’Asie centrale et le Moyen-Orient pour ses références culturelles et religieuses. Cependant, les velléités et violences indépendantistes qui servent d’excuse au gouvernement central pour mettre en place la politique de persécution actuelle n’a toujours été le fait que d’une minorité d’extrémistes. Ces violences étant d’ailleurs plus motivées par la ségrégation économique à laquelle les Ouïgours ont dû faire face depuis plusieurs décennies. Ceux-ci ont vu leur région se développer mais le fruit de cette croissance bénéficiant principalement à la diaspora Han établie sur place.

 

Cette altérité s’exprime bien-sûr également visuellement dans les paysages d’une région dont la moitié de la surface est occupée par le gigantesque désert de Taklamaklan autrefois sillonné par les caravanes de la route de la soie et parsemé de villes oasis aux multiples minarets.

 

Je dirais qu’il y a toujours eu au Xinjiang la volonté d’une affirmation culturelle plus qu’une résistance concrète. C’est cette altérité culturelle, jusqu'à récemment tolérée car partie intégrante d’une Chine aux multiples nations, qui est désormais la cible de la politique de répression de Pékin, celle-ci visant à transformer la province en une région chinoise à part entière.

Quand vous vous êtes rendus dans le Xing-Jiang en 2017, comment les mesures de répressions prises par le gouvernement chinois apparaissaient visuellement dans le paysage de la communauté ouïgour ?

 

Pour le projet Out West, je me suis rendu trois fois au Xinjiang en 2016 puis une fois en 2017. Pour le projet The Night Is Thick, je m’y suis rendu deux fois en 2019.

À chaque fois environ deux semaines.

 

Le choc visuel fut surtout lors de mon retour en 2019, la présence policière ayant été décuplée. En 2017, les contrôles et check-points étaient déjà nombreux mais en 2019, la présence policière était omniprésente, j’ai eu l’impression d’arriver dans un pays sous loi martiale.

À tous les coins de rue des postes de police avaient été installés, les contrôles étaient incessants pour entrer ou sortir de certains quartiers ou même juste pour entrer dans un bâtiment. Des scans corporels, portiques électroniques et détecteurs à métaux avaient été installés partout.

Ces contrôles étaient plus particulièrement ciblés sur les Ouïgours, les chinois Han pouvant circuler beaucoup plus librement. 

 

Des systèmes de vidéo-surveillance avaient fait leur apparition couvrant tous les angles de vue dans toutes les rues, même dans les ruelles des vieilles villes. 

 

Je n’en ai moi-même pas fait l’expérience mais on sait que des applications sont installées sur tous les téléphones mobiles pour enregistrer toutes les communications et l’utilisation d’application jugées suspectes par les autorités - Whatsapp ou autres services de messagerie qui ne sont pas contrôlés par le gouvernement central.

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3 Février 2019, Hotan, Province du Xinjiang . Des locaux de la minorité Ouïgour attendent en lignes pour le contrôle de leur cartes d'identité et les fouilles corporelles avant d'entrer dans le bazar local.

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Novembre 2016, Province du Xinjiang, Chine. Vieil homme chinois photographié dans la chambre de sa maison. Il est le gardien d'une mine dans le désert de Tklmakan, dans l'ouest de la province du Xinjiang.

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Lorsque vous vous rendez en 2019 dans la région pour le projet « The Night Is Thick », vous tentez de documenter une situation très difficile d’accès. Pouvez-vous nous parler de la manière dont les autorités tentent de contrôler les informations et les images qui sortent du Xinjiang ?

 

Les journalistes  - et photographes ayant un visa journaliste - sont suivis dès leur arrivée sur place. Ayant un visa de travail shanghaien et parlant chinois, j’ai pu justifier ma présence sous le couvert du tourisme et passer, au moins pour quelques temps, plus inaperçu.

 

Cependant, partout où je suis allé dans la province j’ai fait l’objet de l’attention appuyée des autorités locales qui sont allées jusque me faire suivre 24h sur 24 dans certaines villes – j’en ai la certitude pour les villes de Hotan et Korla mais peut-être dans d’autres endroits sans que je ne m’en rende compte.

 

Partout, plusieurs fois par jour, les forces de police ont contrôlé mes papiers, posé des questions sur la raison de ma présence et maintes fois demandé de visionner mes images, pour en effacer certaines devant eux.

J’avais cependant toujours deux cartes dans mon boîtier, ce qui me permettait de n’effacer que les .jpg et conserver les fichiers .raw sur l’autre carte. En ce qui concerne la ville de Yarkant, on m’en a tout simplement interdit l’accès. 

 Tout cela bien-sûr sans que je cherche à m’approcher de zones sensibles près des camps de rééducation qui pullulent dans la région.

"J’avais cependant toujours deux cartes dans mon boîtier, ce qui me permettait de n’effacer que les jpg et conserver les fichiers raw sur l’autre carte."

Vous dites que le tourisme explose en 2020. Le Xinjiang a vécu une affluence touristique impressionnante selon les chiffres du bureau du tourisme chinois. Que ces chiffres signifient-ils selon vous ?

 

Dans l’imaginaire de beaucoup de chinois le Xinjiang a toujours été cette frange indomptée du royaume national. Une zone peuplée de terroristes potentiels qui ne voient pas d’un bon œil la présence de chinois Han et sont prêts à les détrousser à la première occasion. La politique de répression accrue mise en place depuis quelques années s’appuie sur cette angoisse nationale, cette peur de l’autre et de l’inconnu inhérente à toute société. Dans le récit officiel le gouvernement a donc pris les devants et décidé de « stabiliser » la région pour mettre en place sa politique de développement vers l’Ouest « One Belt One Road ». Cela va de pair avec une « sécurisation » qui peut donc permettre de développer le tourisme et montrer à chacun des citoyens chinois qu’il est désormais libre d’y passer ses vacances et toute sécurité pour en découvrir le folklore local. Ces touristes n’ont bien sûr accès qu’à une version aseptisée et exoticisée de la culture locale, tout cela alors que le véritable encrage culturel est en passe de disparaître.

Entretien par Mathilde Azoze

Le 16.03.2020

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Mai 2016, Hotan, Province du Xinjiang, Chine. Place Tuanjie, Place principale d'Hotan , pendant un événement de nuit. Au centre de la place se lève la statue de Kurban Tulum, serrant la main à Mao Zedong. Kurban Tulum était un paysan ouïgour qui vivait dans le comté de Yutian. Cette statut est un symbole d'unité du Parti communiste avec les OuÏgours. 

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28 septembre 2019, Conté de Shanshan, Province du Xinjiang, Chine. Des tanks miniatures motorisés, sur le site du Desert de Kumtagh, un parc touristique, destiné principalement aux touristes chinois Han. Au second plan, des touristes escaladent la dune principale du parc. 

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