top of page
15.jpg

patrick baz

communauté(S)

Patrick Baz est photo-reporter. Né juste avant la guerre civile libanaise, il fait se premières photos en tant qu'adolescent, sur la ligne de démarcation de Beyrouth. Plus tard, il crée l'AFP MENA (Middle East-North Africa) et couvre de nombreux conflits comme la Bosnie, l'Irak et l'Afghanistan. En 2014, il est victime du PTSD (Trouble de Stress Post-Traumatique) et abandonne la guerre.

De retour au Liban, il se penche sur les moeurs et notamment la communauté chrétienne du pays. 

_

Comment en êtes-vous venu à la photographie ? 

C’est par la guerre du Liban. J’étais incapable de tirer sur quelqu’un, et la légende dit que j’ai échangé la Kalashnikov contre un appareil photo. Comme 90% de ma génération a participé au conflit, du moins dans le quartier dans lequel j’habitais, sur la ligne de démarcation, ça me permettait de rester dans l’action, sans vraiment participer. À l’époque je ne savais pas trop ce que je faisais, je volais l’appareil photo de mon père, que je ne savais pas vraiment utiliser, et je faisais des photos des immeubles en ruines dans le quartier, des compétitions de sport, et avec les copains on vendait les tirages aux participants. Après j’ai travaillé dans un magazine local. Je voulais être journaliste, la photo n’était pas un but en soi, mais comme j’étais très mauvais à l’école, c’est devenu un moyen d’expression plus évident que l’écriture. 

Comment votre aventure avec l'Agence France Presse a-t-elle commencée ? 

J’ai quitté le Liban en 88, quand les chrétiens ont commencé à s’entre-tuer. Pour moi c’était incompréhensible, et ce n’était pas un sujet que je pouvais traiter en photo. Ces personnes étaient mes voisins, mes copains. À cette époque, je travaillais beaucoup pour la presse occidentale et pour eux aussi c’était inexplicable et incasable Je suis donc arrivé à Paris avec mes portfolios, mes doubles pages, mes couvertures dans les magazines français et américains etc. L’agence « Collectif » pour laquelle je travaillais avait fait faillite, et j’étais seul. J’ai toqué à la porte de Paris Match tout fier, mais en fait tout le monde s’en foutait. Je me suis rendu aux Etats Unis où mon agent sur place m’a présenté Time, Newsweek etc, mais encore une fois, après les déjeuners, il ne se passe jamais rien derrière. Puis l’AFP m’a proposé d’aller à Jerusalem. Les israéliens ne pouvaient plus couvrir l’Intifada, et ils voyaient en moi un français arabophone, alors que pour moi c’était impossible qu’un libanais aille couvrir cet évènement. Mais à cette époque, en 1989, il n’y avait plus de Liban, tout était en flammes, les chrétiens s’entre-tuaient, les musulmans aussi… j’ai pensé à mon avenir et au métier que je voulais faire et j’ai débarqué là-bas en tant que Chef Photographe de l’AFP. 

J’ai monté un réseau de photographes palestiniens car le photo-journalisme comme on le conçoit n’existait pas du tout là-bas. Culturellement, l’image n’existait pas dans cette région. En 1996, l'AFP m'a demandé de faire la même chose sur toute la région Moyen-Orient, Afrique du Nord.

Ce poste de chef ne vous empêche pas de couvrir les conflits …

Après le conflit libanais, il y a donc eu l’Intifada, puis il y a eu des accalmies en 1991. Je m’emmerdais. Donc je suis parti faire la Première Guerre du Golf, la Somalie, puis la Bosnie, des conflits en dehors de ma région finalement. À partir de 96, j’ai continué à aller sur le terrain car je ne pouvais pas concevoir le fait d’envoyer des photographes sur les zones de conflits sans être présent moi-même. On ne couvre pas des conflits comme on couvre une conférence. Il faut un soutien moral, logistique, et le chef doit être là. En 2009 et 2011 je suis également parti en Afghanistan. 

Pendant toutes ces années, comment gérez-vous psychologiquement ces couvertures de conflits, et que se passe-t-il en 2014 ? 

La légende disait que j’étais comme Obélix. J’étais tombé dedans étant petit. Donc je devais être immunisé, ce que je me répétais constamment, et ce qui était totalement faux. Et j’ai explosé en vol en 2014. 

Le PTSD (Post Traumatic Stress Disorder) doit être déclenché par un événement, et pour moi, il y a eu deux incidents. Premièrement le conflit en Syrie : c’était la première fois dans ma carrière que je traitais un conflit de manière virtuelle. Je ne pouvais pas me rendre là-bas en tant que libanais. Tous ces Rebels, avant de le devenir, étaient soldats de l’occupation syrienne au Liban, donc ils en connaissent très bien la politique et les gens. C’était donc une No-Go-Zone pour moi. Mais je regardais des vidéos de Daech toute la journée, je m’occupais virtuellement de photographes syriens que je perdais, morts ou disparus. Je faisais de l’assistance psychologique sur skype à toute heure du jour et de la nuit, et ensuite je rentrais à la maison. Je me défoulais sur des jeux vidéos et je restais sur mon canapé, seul. Il y a également eu un incident en Libye : nous nous étions déplacés à plusieurs, en multimédias dans un véhicule, ce qui est la nouvelle façon pour les agences de couvrir les conflits. Nous couvrions l’assaut d’une ville, et nous avons failli y passer. J’étais responsable de ces gens, et cette idée me revenait constamment en tête. En 2014, quand il y a eu l’assaut Israélien sur Gaza, je suis resté les pieds coincés dans le béton, je ne pouvais plus y aller. 

Je connaissais les symptômes du PTSD. Je les avais tout le temps rejetés. Mais la j’ai compris que ça n’allait pas. Cependant à aucun moment je me suis dis que j’allais arrêter le métier. 

000_RP2S4.jpg
1-5D4A1792 copy.jpg

Comment vous êtes-vous remis du PTSD ?

Quand on a une grippe on se fait soigner, donc le PTSD doit être soigné aussi. Je ne pensais pas du tout que ça allait m’enlever l’envie de retourner sur le terrain. J’allais mal, et ça a été une thérapie très efficace, par l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) notamment. C’est assez perturbant pour un photographe, parce que cette méthode fait revenir des images, comme des photographies de moments traumatisants, et ça fait le ménage que le cerveau n’arrivait plus à faire seul. Ça m’a ouvert les yeux sur d’autre chose. J’ai réalisé que l’adrénaline n’était pas forcément liée à des photos de conflit. 

J’ai fait une longue thérapie, de 2014 à 2016. J’avais une séance par semaine chez le thérapeute et beaucoup de travail à faire sur moi-même. Il fallait méditer, écrire sur mes cauchemars etc. 

On me demande souvent pourquoi je parle du PTSD, mais il faut que les gens connaissent tout ça. Les photographes doivent en parler entre eux, et le sujet doit cesser d’être tabou. Pour couvrir un conflit, on doit être en bonne santé physique mais également mentale. Ce n’est pas a ta femme et à tes enfants que tu vas raconter que tu as enjambé des cadavres. C’est très sexy de rentrer du terrain avec une balafre. Quand tu boites, on s’occupe de toi, tu es le héros. Mais quand la blessure est invisible, et que tu ne vas pas bien, personne ne peut le comprendre si tu n’en parles pas. Jean-Paul Mari a écrit un très beau livre sur le sujet, qui s’appelle « Sans blessures apparentes ».

C’est à ce moment là que vous commencez à travailler sur les moeurs libanaises ? Puis sur la communauté chrétienne au Liban ?

Je suis photographe et je ne pouvais pas rester sans faire de photo, l’oisiveté n’étant pas ma came du tout. Le Liban est un pays très visuel, et comme j’étais à la tête de l’AFP de cette région, je remarquais qu’il manquait des choses. Pendant cette année charnière je suis donc entré dans la société libanaise, et c’est là que j’ai fait les transsexuels par exemple. Pas assez bien à mon goût, car j’avais encore cette approche d’agencié, et j’avais encore le réflexe de faire et de transmettre tout de suite. En cherchant des sujets, j’ai réalisé qu’il y avait cette réaction identitaire très visuelle chez les chrétiens libanais. Les chrétiens sont très portés sur les statues, les images et les choses ostentatoires. Au début mon travail ne me satisfaisait pas, mais j’avais le temps. J’ai donc commencé à produire, et à m’enfoncer très profondément dans le sujet. Ce que je dis souvent aux jeunes, c’est que pour faire ce métier, il ne faut pas nécessairement aller en Afghanistan. Parfois, il suffit de traverser la rue. De fil en aiguille, je découvrais des choses, que moi-même, bien qu’ayant grandit dans cette communauté, je ne connaissais pas. Et beaucoup de chrétiens qui ont vu mes photos hallucinaient également. Ce sujet n’avait jamais été fait auparavant, et il fallait documenter cette communauté au moment du danger de Daech. Je voulais volontairement éviter le coté politique et ex-miliciens, avec les armes dans les maisons etc. Tout le monde sait que les chrétiens du Liban ne sont pas les chrétiens d’Irak par exemple. Ils ont massacré et été massacrés, c’est une entité à part. Je voulais juste montrer qu’ils n’ont pas peur d’afficher leur croyances et de s’afficher sur la voie publique. La communauté citadine et bourgeoise dans laquelle j’ai grandit n’a rien à voir avec celle très rurale que j’ai découverte. J’avais donc un oeil étranger. Ces communautés ont perdu la foi politique, donc elle se replient sur la religion, car leurs politiciens sont incapables de les représenter correctement. C’est leur façon de dire qu’elles existent. 

Vous photographiez cette communauté avec objectivité, mais aussi avec une touche d’humour. Pourquoi ?

Il faut de l’humour pour photographier le Liban, ce pays est plein de contrastes et de paradoxes. Si je ne considère pas le Liban avec humour, c’est dur. Je me base toujours sur ce que disais très bien Eddie Adams « Si ça vous fait rire, si ça vous fait pleurer, si ça vous atteint au coeur, c’est une bonne image ». C’est la base de tout reportage. En plus de ça, je ne voulais pas faire une Bible de l’image ! Et je crois que c’est mon expérience qui m’a permis d’avoir le recul nécessaire. J'ai toujours été détaché. 

1C.jpg
1-BJ7A7837 copy.jpg

Est-ce que le fait d’avoir travaillé en agence vous permet de prendre du recul sur toutes les situations ? 

Le seul conflit qui m’a beaucoup touché, et sur lequel j’ai très mal travaillé, c’était la Bosnie. Je suis arrivé à Sarajevo en 92, pour comparer avec Beyrouth. C’était mon premier conflit en dehors du Liban, après l’Intifada. Finalement, ll n’y avait rien à comparer. C’était une souricière, avec des gens comme vous et moi, qui étaient complètement affamés, qui étaient des cibles mobiles pour les snipers serbes. Ils faisaient la queue pour une miette de pain, et écoutaient la même musique que moi. Un jour, on avait dit à ces gens « vous êtes musulmans », alors qu’ils avaient grandi dans l’athéisme le plus total sous un régime communiste. Leurs noms, et l’histoire de l’occupation Ottomane étaient les seuls liens qu’ils avaient avec l’Islam en réalité. Là-bas je ne pouvais pas porter mon gilet et mon casque parce que j’avais l’air d’un extra-terrestre. Alors je prenais la voiture blindée et j’allais acheter à manger dans les villages serbes avec mon pass presse des Nations-Unies, et je distribuais ensuite à la population. Je crois que c’est le seul moment où je me suis retrouvé à habiter et à vivre avec les gens victimes du conflit que je devais traiter. À un moment je me suis dis qu’il fallait que je parte sinon il aurait fallut que je rentre dans une ONG et que j’arrête la photo. À l’époque j’étais aux films, il fallait faire les développements dans une chambre à 4 degrés, alors qu’il faisait extrêmement froid à l’extérieur, le générateur ne tenait pas le coup, je ne pouvais pas réchauffer les bains à 21 degrés, je roulais mes films avec des gants… c’est le conflit dans lequel je me suis le plus impliqué. 

Auriez-vous un conseil à donner à un jeune photographe ? 

Je suis mal placé pour dire aux gens de ne pas aller photographier la guerre, mais si vous y allez une fois et que ça ne vous plait pas, ce n’est pas la peine de revenir pour ressembler à Don McCullin. Premièrement, vous avez le droit de ne pas aimer ça, et deuxièmement, si vous avez peur ça peut mettre votre vie et la vie des autres en danger. Sur les terrains, on ne peut pas paniquer, car les collègues se mettent en danger si ils doivent s’occuper de quelqu’un qui a peur.

Entretien par Mathilde Azoze

le 01.04.2019

_000_B186M.jpg
BJ7A4692.jpg
bottom of page