
mohamad abdouni
lien(s) du sang
Mohamad Abdouni navigue entre la photographie de mode et le documentaire. En 2018, il passe 3 mois avec Andrea, jeune genderqueer, et sa maman, Doris. Il documente leur quotidien et l'amour qui les lie. À travers ses images, Mohamad nous parle de la communauté LGBTQ de Beyrouth et du Liban, et de la relation exceptionnelle du jeune homme et sa mère.
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Vous avez étudié l'illustration, mais qu’est-ce qui vous mène à la photographie ?
Je me suis dirigé vers l’illustration parce que je voulais developper des compétences dans ce domaine que je ne connaissais pas, et à l’époque je pensais que ça m’intéresserait. Mais je me suis vite rendu compte, après avoir travaillé pendant un an, que j’appréciais l’illustration plus que je n’étais un illustrateur. Je suis donc retourné à la photographie. Ça fait 15 ans maintenant que je prends des photos, et la seule raison pour laquelle je n’ai pas étudié la photographie, c’est parce que je sentais que c’était déjà une corde à mon arc, et je voulais développer ça tout seul. Ce qui m’a mené à la photo c’est un grand amour pour la publication dans les magazines et les livres… ça me fascinait depuis tout petit déjà.
Où en est actuellement la communauté LGBTQ à Beyrouth ? Et au Liban ?
Beyrouth et le Liban sont vraiment deux choses différentes. Ce qui est autorisé socialement à Beyrouth pourrait être condamné dans les villages ailleurs dans le pays. En ce qui concerne la capitale, la communauté LGBTQ est une sorte de révolution. De nouvelles choses se passent et évoluent, la culture Queer se développe, et c’est très beau à voir. Concernant le reste du Liban je pense que ça prendra plus de temps. Mais je suppose que c’est comme ça dans beaucoup de pays, les capitales sont toujours un peu en avance.
Pouvez-vous nous parler de votre rapport au corps, très présent dans vos photographies ?
Je n’ai jamais réfléchi à ma relation au corps. Je sais évidement que c’est très présent dans mon travail mais je n’y pense pas consciemment. Je sais juste que je suis attiré par les mouvements, par les formes et les tailles différentes, par les imperfections des corps… Je pense aussi que je me sens plus à l’aise avec les corps des autres qu’avec le mien. Ça peut etre un début de réflexion mais je ne peux pas en dire plus pour l’instant.
Le Liban est considéré comme un des pays les plus “Gay friendly” du monde arabe. En réalité, qu’en est-il de la loi concernant les personnes homosexuelles actuellement ?
Beyrouth est considéré comme gay friendly, ce qui est très vrai par rapport aux autres villes et pays du monde arabe. Cependant, ça reste illégal d’être homosexuel au Liban, et il y a des peines de prison pour ça. C’est un paradoxe.

Vous avez passé beaucoup de temps avec Doris et Andrea, une mère et son fils genderqueer, de confession chrétienne maronite. Comment se passe leur relation ?
Cette relation m’a coupé le souffle. Andréa me parlait beaucoup de sa mère et je lui disais qu’il était chanceux d’avoir quelqu'un qui le soutenait autant. Puis finalement, j'ai rencontré Doris et j’ai réalisé que ce n’était pas une question de soutien mais vraiment une question d’amour. J’ai donc découvert une relation exceptionnelle et rare, car les familles mettent souvent l’amour au second plan quand il s'agit des moeurs, et de ce qu’on appelle les « valeurs du Moyen-Orient ». Doris n’a pensé qu’a l’amour et a tout abandonné pour son enfant. Pour moi c’est une sorte de famille modèle.
Et le père dans tout ça ?
Le père n’est pas présent et Doris a bien compris qu’elle pouvait abandonner cette idée. Pour l’amour de son fils elle a du faire une croix sur son mari et sa famille. Il ne fait donc pas du tout partie de leur vie car il ne soutient pas les choix d’Andréa.


Vous alternez les photographies de mode, et les sujets plus documentaires comme celui exposé dans "C'est Beyrouth". Qu'est-ce qui vous correspond le plus ? Pouvez-vous nous parler de vos méthodes de travail pour chacun de ces deux exercices ?
Honnêtement je ne sépare pas les deux. Je les approche de la même manière, et je suis le même Mohamad quand je travaille sur la mode ou sur les projets documentaires. Quand je passe beaucoup de temps à travailler pour la mode, la rue et le fait de prendre mon appareil et de documenter les gens que je trouve fascinants me manquent. Et parfois, quand le travail est plus calme pendant une période, le monde de la mode où tout est beau et édulcoré me manque aussi. Les deux univers font partie de moi de toutes façons. Mon seul but c’est de faire des images honnêtes dont je peux être fier.
Vous avez créé un Hors-série du magazine Cold Cuts, dont vous êtes directeur artistique, spécialement pour l’exposition, pouvez-vous nous en parler ?
J’ai créé le hors-série parce que j’ai senti que l’exposition ne suffisait peut-etre pas à raconter toute l’histoire. Je voulais une autre plateforme avec d’autres images, et pouvoir montrer toutes ces belles choses et ces petits moments de la vie de Doris et Andréa dont j’ai eu la chance d’être témoin. C’était donc plutôt naturel pour moi de faire une édition limitée de Cold Cuts, dans laquelle je pourrais publier de la documentation en plus sur cette famille.
Entretien par Mathilde Azoze
Traduit de l'anglais - 17.04.2019

- Entretien par Mathilde Azoze -
