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Photo du mois
Novembre 2019
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Lucas Dumortier

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"Nous sommes en 2017, Mon périple démarre en banlieue de Tananarive (Capitale de Madagascar) pour rejoindre Tuléar sur la côte Ouest. La RN7 que nous empreintons est chaotique, à l'image d'un pays en constante et fragile transition. Ambatolampy, nous y sommes. La plus ancienne et traditionnelle fonderie d'aluminium du pays. Inspirée des techniques de moulage en latérite servant à la fabrication de cloches en bronze, l'usine Alumada fabrique plusieurs centaines de pièces par jour. C'est par containers entiers que l'Europe exporte ses déchets d'aluminium blanc à Madagascar. Profilés extrudés servantà la fabrication de canettes de soda sont ainsi récupérés et fondus à plus de 660°C. On assiste dès lors au ballet des ouvriers, travaillant sans protection, souvent à pieds nus et toujours sans masque. Je frissonne à l'idée qu'un accident arrive devant mes yeux. Ils restent souriants et confiants. Leur maîtrise est impressionnante, à l'image de leur capacité à subir l'atmosphère insoutenable de l'aluminium chauffé qui remplit progressivement nos poumons. Ils sont jeunes, peut-être un peu trop. 

Je décide alors de sortir de cet enfer, mon appareil se recouvre d'une fine poussière qui s'avère dangereuse pour les mécanismes du boîtier. Dans la cour plus loin, j'aperçois les colonnes de casseroles refroidies, prêtes à être vendues sur les marchés malgaches ou Réunionnais où je résidais à l'époque. Mais cela n'intéresse pas les touristes. Les Malgaches sont avant tout des artistes récupérateurs. Les faibles conditions économiques du pays en sont la principale cause. Ne rien jeter, tout transformer en objets utiles ou de décoration devient alors un dogme. Je découvre dans une autre petite salle une rangée de jeunes travailleurs alignés devant leur polisseuse respective. Les restes d'aluminium moins nobles sont fondus et moulés pour fabriquer divers objets décoratifs vendus aux touristes.

Baobabs, scénettes animalières, cendriers et bijoux sont ici façonnés par les petites mains fragiles des enfants. La technique est précise et maîtrisée. Je suis divisé entre l'admiration pour la qualité de l'artisanat et mon empathie pour ces mineurs travaillant sans relâche. Seul moyen de gagner un maigre salaire pour leur famille, on ne peut s’empêcher de réfléchir aux conséquences désastreuses sur leur santé. Une étude de l'Inserm en 2000 démontra que chauffé à plus de 400°C, l'aluminium volatil pénètre dans les bronches pour se mélanger au sang. Dès lors, on constate des effets irréversibles sur le système nerveux et le cerveau, provoquant dans certains cas, des troubles psychomoteurs ou des prédispositions à la maladie d'Alzheimer.
Cette dualité de sentiments m'accompagnera tout au long du voyage, donnant le nom de cette série de photographies sur Madagascar "From dust to grace" (traduit "De la poussière à la grâce"). Ce cliché en est une parfaite illustration. L'aluminium rutilant dans les mains de ces enfants marque un contraste puissant avec la poussière recouvrant leurs vêtements et leurs visages. Le bruit des polisseuses est assourdissant et personne ne remarque ma présence dans l'atelier. Je m'approche lentement et m'accroupis auprès d'eux. L'enfant sur la droite relève la tête et me fixe. Il arrête sa rotative, me laissant le temps de déclencher. Beaucoup d'humanité se dégage de ce timide regard et je devine l'esquisse d'un sourire, dissimulé par le t-shirt qu'il porte autour du visage. Je lui souris à mon tour et me retire en le remerciant. Il faut partir, il nous reste une longue route à parcourir. Elle sera sûrement moins pénible que la leur..."


Lucas Dumortier
France,
@dumortier.lucas

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