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MINEURS En

    DETENTION

LIZZIE SADIN

JUSTICE JUVÉNILE AUTOUR DU MONDE

Comment avez-vous découvert et choisi de travailler sur ce sujet ?

 

Initialement, j’avais vu un reportage à la télévision sur les mineurs en prison en Russie. J’avais été très secouée et indignée de voir cet univers carcéral à la Dickens. J’ai eu envie d'en témoigner, mais je n’aurais jamais pu imaginer que cela prendrait huit ans de ma vie et que j’irai dans douze pays.

Dès le lendemain, je me suis demandée comment, d’ici, chez moi, à Paris, je pouvais travailler sur un tel sujet et faire ouvrir les portes des prisons toute seule. Je me suis d’abord penchée sur beaucoup de rapports tels que ceux d’Amnesty International, de l’OIP (Observatoire International des Prisons), du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) etc. J’avais également appris que le Conseil de l'Europe avait récemment pointé du doigt les conditions très indignes dans lesquelles sont incarcérés les mineurs en Russie.

J’ai passé des heures, des jours et des nuits,  à enquêter, à lire,  téléphoner, écrire et rencontrer des associations et ONG. 

J’ai fait le choix des pays selon des critères géographiques et géopolitiques. Je voulais aller dans des pays en paix et des pays en conflit, des pays démocratiques et des pays de non Droit. Je souhaitais faire un panorama de la justice juvénile dans le monde. 

Les maitres mots dans tous les sujets que je traite sont indignation et sensibilisation. Ce que j'ai découvert ici était terrifiant. 

 

Quel type de violence subissent ces enfants incarcérés ? 

 

J'ai découvert que les jeunes sont parfois  détenus avec des adultes, qui jouent le rôle des capots, délégués par les matons, pour faire régner l’ordre dans les cellules. Qu'ils manquent d’hygiène, de soins médicaux, de nourriture, et souffrent de malnutrition. Ils manquent aussi d’espace et la surpopulation est très forte. Cette promiscuité aggrave leur situation. Ils subissent des viols, des rackets, des passages à tabac, des abus sexuels. Ils sont parfois jusqu’a 24 détenus dans une cellule avec 6 lits. Ils n’ont le lit qu'un quart du temps de la journée et font des roulements. Imaginez les problèmes d’hygiène que cela entraîne… Ils n’ont pas non plus de médicaments à leur disposition, alors qu’ils souffrent souvent de tuberculose, de maladies de peau comme la gale ou encore le Sida, ils sont soignés à l’aspirine... Ils ne reçoivent à manger que 30% de ce que l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) décrète comme étant le nombre de calories minimum par jour. Leurs familles sont souvent loin, ils ne reçoivent aucune visite. Les jeunes ne reçoivent aucune éducation, ils ne savent ni lire, ni écrire.

Quand j’ai constaté tout ça, je me suis dit que je ne pouvais plus me taire. J’aurais eu l’impression de les rendre victime une seconde fois. J’avais ressenti la même chose en effectuant mon reportage photo sur la violence conjugale en France et que j’avais découvert qu’une femme mourait tous les trois jours sous les coups de son compagnon.

 

Vous commencez par la Russie ...

Je ne pensais pas que les démarches pour me rendre en Russie allaient être si longues. 14 mois de démarches, 11 jours sur place et une heure et demi dans chacune des trois prisons visitées…

J’ai commencé en 1999 et je n’ai pu me rendre à Saint Petersburg qu’en septembre 2001. C’était 3 jours après l’effondrement du World Trade Center à New York et toutes les urgences étaient concentrées sur cette catastrophe. Pendant ces 14 mois de démarches, j’ai passé énormément de coups de téléphone et eu très peu de réponses. Il n’y avait pas internet comme maintenant, c’était plus difficile d’enquêter. Finalement j’ai décidé d’y aller onze jours sans attendre de réponse. Le PNUD de Moscou m’avait aidée en me mettant en contact avec celui de Saint-Petersburg grâce auquel j'ai pu être en relation avec les autorités pénitentiaires. Au depart, ils m’ont demandée 450 francs par prison, ce que j’ai refusé car je craignais que cela soit pour soudoyer les autorités penitentiaires...

Ils m’ont ensuite expliqué que c’était pour acheter des choses aux enfants, telles que du dentifrice, des serviettes hygiéniques, du papier pour écrire à leurs familles ou des barres protéinées, etc. J'ai accepté, à condition de me le prouver en me montrant les factures des achats et que ce serait moi qui distribuerai les produits aux jeunes.

Ce fut fait et ce fut un joli moment.

 

J’ai été dans trois prisons en Russie : Lebedeva (préventive), la colonie pénitentiaire de Kolpino et Arsenelnaïa pour les filles. Dans la première, le directeur m’a donné une heure. Je n’avais pas fait 14 mois de démarches pour une heure seulement. J’ai négocié, et à force d’obstination, j’ai obtenu une heure et demie. Une heure et demie de tension pour attraper ces images. Je lui ai demandé pourquoi il me laissait aller voir finalement, sans vraiment me montrer.

Il m’a expliqué qu’il avait honte des conditions de détention et que la prison était dans un état déplorable.

S’il me laissait entrer, c’était surtout pour que l’Europe et l’Occident envoient des dons et fasse réagir Poutine qui ne donnait pas beaucoup pour les Per Diem des jeunes en preventive.

 

Au retour, avez-vous senti que votre travail pouvait concrètement aider ces jeunes-là ? 

Quand je suis rentrée, Amnesty International à qui j’avais montré mes images a été assez étonné de ce que j’avais pu rapporter. À ce moment là, ils mettaient en place une campagne « Justice pour tous ». Je leur ai offert mes photographies et avec Amnesty Hollande et Amnesty Pays-Bas, ainsi que l’éducation nationale de ces pays, ils ont créé des cartes postales avec mes photos et au dos, l’adresse pré-écrite du secrétariat de Poutine. Des collégiens et lycéens ont écrit en demandant l’amélioration des conditions de détention de leurs camarades. Poutine a donc reçu des milliers de cartes postales avec mes photographies et les mots des enfants. Ça m'a fait immensément plaisir parce que quand les observateurs y sont retournés deux ans plus tard, ils ont pu constater des améliorations : beaucoup d’enfants avaient été libérés et les conditions étaient bien meilleures. Je me suis dit que si mes photographies avaient ce pouvoir de faire bouger un peu les choses et pouvaient avoir cet impact, alors je devais continuer.

Pouvez-vous nous parler des pays qui ont suivi ? 

J’ai ensuite été contactée par le BICE (Bureau International Catholique pour l’Enfance). Ils organisaient une campagne de sensibilisation avec Mr Robert Badinter comme president de cette campagne, et Yves Duteil, auteur de la chanson « Prendre un enfant par la main ».

Ils m’ont proposée de travailler avec eux pour aller dans les prisons pour mineurs au Cambodge et au Brésil. Une autre photographe, Jéromine, irait au Congo et en Estonie. Leur souhait était d’instaurer une justice juvénile dans ces pays, avec des avocats dignes de ce nom. Là-bas, les enfants sont jugés comme des adultes alors qu’ils commettent des délits mineurs pour survivre, comme voler un plant de riz ou du pain.

Mon départ pour le Brésil a été laborieux. La première fois que je m’y suis rendue c’était en juin, pendant la fête de la Saint-Jean. Il y avait des feux d’artifice partout, et beaucoup de surveillants étaient en congés, et les détenus très excités. On m’a refusé l’entrée dans les prisons en prétextant que c’était trop dangereux. Retour en France bredouille… J’y suis retournée en octobre dans plusieurs prisons. J’y allais pour témoigner des alternatives à l’emprisonnement, des mesures éducatives, ce que le BICE voulait promouvoir. Au Brésil, les prisons tenues par le gouvernement sont très dures et dénoncées par les institutions de Droits de l’Homme, tandis que les prisons tenues par les ONG ou par des religieux sont beaucoup mieux.

 

Après ces trois premiers pays, j’ai fait la demande auprès des autorités pénitentiaires en France, ce qui m’a pris 9 mois, le temps d’avoir un enfant... Je n’ai obtenu que 3 heures à Fleury-Merogis. Là-bas, j’ai photographié une scène dite de « la tortue » : quand 4 matons tiennent un jeune face contre terre, les membres écartés, pour l’emmener en isolement. Ils n’ont pas apprécié et m’ont demandé de partir. Ma présence était devenue indésirable ! Je ne savais pas qu’il ne fallait pas montrer cela… Comment aurais je pu savoir ? J’étais assez choquée par cette attitude de refus catégorique de vouloir en parler.

Ensuite je suis allée en Suisse où c’est complètement différent. Il y a tellement de libertés qu’il n’y a pas vraiment de «prisonniers » à proprement parler. Les portes des cellules sont ouvertes, les prisonniers font du cheval, du théâtre… Il y a beaucoup de mesures éducatives, c’est très intéressant.

Je suis allée ensuite en Colombie, parce que, malgré les gangs, les narco-trafiquants et la guerre, c’est un pays qui considère qu’avant 18 ans, les jeunes ne sont pas responsables pénalement. Un jeune qui a commis un délit est placé dans un centre éducatif, on lui cherche un emploi. Il est mis en contact avec un employeur qui le forme, et quand il en sort, ce n’est que pour aller travailler. Il y a une véritable réinsertion sociale. Il n’y a pas non plus de juges mais des éducateurs de la famille et tout est pensé différemment. C’est d’ailleurs le seul pays au monde qui fait ça à ma connaissance, et qui a un code adapté aux mineurs, pas un code pénal. Cela m’a vraiment intéressée de pouvoir montrer ça. On aurait beaucoup à apprendre d’eux. Puis l’Inde où j’effectuais en même temps un reportage sur l’élimination des bébés filles.

Puis Israël et les territoires occupés et Gaza. En Israël, ils m’ont laissée entrer dans un QHS (Quartier de Haute Sécurité) avec des détenus pour raison d’atteinte à la sureté de l’Etat. Et j’étais seule sans surveillance. Une fois passé les rayons X, j’allais dans les cellules avec les prisonniers, et comme je parle un peu arabe, j’ai pu parler aux jeunes comme je voulais. Je me souviens avoir discuté avec un adolescent de 13 ans qui avait été arrêté à un check-point israélien avec une ceinture d’explosifs.

Il me brandissait le Coran avec le signe de la victoire. J’avoue avoir été surprise de bénéficier de tant de liberté dans ces QHS israéliens.

Je suis ensuite allée dans les territoires occupés, sous autorité palestinienne, à Ramallah par exemple, puis à Gaza. C'est là bas que j’ai fait des photos des jeunes qui dessinent des couteaux plantés dans des étoiles juives.

Et puis Madagascar. C’est le pays parmi, ceux que j’ai visités pour ce travail, où les conditions de détention sont les plus difficiles, car ce pays étant très pauvre, il y a un manque considérablement de moyens. Ils étaient 500 enfants dans une cour en plein soleil, sans rien pour les  protéger, avec un seul robinet, deux toilettes seulement, adultes et enfants mélangés, dormant dans les memes cellules… Certains évadés étaient enchaînés par deux ou trois aux montants des lits gigognes. Tous les ans, dix à vingt d’entre eux meurent de sous-nutrition. Ils n’ont droit qu’à du manioc cru. Quand on sait qu’il faut au moins seize heures de cuisson au manioc afin de lui retirer les propriétés qui décalcifient les os.... Il y a de gros problèmes de santé. Les détenus dominants dorment sur des planches posées par dessus les dominés. Ils dorment dans des sortes de fosses ressemblant à des cercueils. Il y des traces de sang de punaises écrasés partout sur les murs. Le regard des adultes sur les jeunes détenus est effrayant, comme des rapaces sur des proies. C’est le pays qui m’a le plus choquée par les conditions, mais ce n'est pas dû a une volonté de leur faire du mal, c’est vraiment un manque de moyens qui conduit à cette situation déplorable.

Vous vous êtes rendue dans 3 états des Etats-Unis...

Oui, je suis allée en Arizona, Californie, et au Texas. Les États-Unis m'ont contrariée au niveau des conditions psychologiques de détention. Les Boot camps existent, et là, il a une volonté de mater les jeunes, de leur montrer qui fait la loi. Les gardiens sont des anciens marines reconvertis qui ont fait la guerre en Irak. Ils me disait que ces techniques de redressement leur apportaient une figure paternelle dont ils avaient besoin. Les jeunes me disaient le contraire. Les autorités pensent qu’il est bon de leur donner une discipline dont ils ont manquée, pour les restructurer. Les rares fois où j’arrivais à m’adresser aux enfants, ils me disaient souvent que le fait de leur crier dessus 20h par jour, tous les jours, ne les aidait en rien et qu’ils n’avaient aucunement envie de garder cette image soi-disant masculine. D’autres me disaient que ça leur faisaient du bien parce que ça les aidait à réaliser à quel point ils avaient eu tort de voler ou violer ou d’avoir tirer sur le compagnon de leur mère, etc …Il y a cette fameuse “Induction” c’est à dire la période d’admission qui dure généralement 3 jours, où on leur fait perdre tous leur repères en leur faisant faire des “push up, stand up” des pompes et ils doivent hurler “Sir, Yes Sir” en éxecutant des exercices très éprouvants comme marcher en restant assis, pousser des pneus sur un sol ensablé, courir en portant des sacs qui présent leur poids et j’en passe…

Le point commun à toutes ces prisons, c’est que les jeunes enfermés sont souvent des enfants de la misère, issus de familles décomposées, de mères célibataires, ou de parents alcooliques, de familles pauvres ou en échec scolaire etc...

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Isolateur d'instruction de Lebedeva (Préventive), Quartier des mineurs, Saint-Pétersbourg

Russie. Dimitri, 13 ans, est le souffre-douleur des adultes détenus avec lui dans cette fameuse cellule N° 90, dénoncée par Amnesty International et l’Observatoire International des Prisons (OIP), et tristement célèbre pour les traitements infligés par des prisonniers « matons » sur les mineurs : sévices, viols, humiliations, tatouage des prisonniers considérés comme inférieurs… Ceux-ci dorment à tour de rôle. Il y a que 6 lits pour 24 personnes…

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Isolateur d'instruction de Lebedeva (Préventive), Quartier des mineurs, Saint-Pétersbourg, Russie. Les jeunes sont enfermés 23h/ 24 dans des conditions d’un autre âge, dans une même cellule avec des adultes qui font office de kapos. Ils manquent de produits d’hygiène et de nourriture, manquent de soins. Ces détenus souffrent encore plus de confinement que les autres, car ils sont mis en quarantaine comme l’indique le panneau. Ils ont le sida ou la tuberculose et n’ont que de l’aspirine pour seul traitement …Ils sont soumis au racket et à la violence, à l’absence de visite des parents car ils sont détenus très loin de leur domicile. Ils peuvent attendre deux ou trois ans avant d’être jugés, bien souvent pour des délits qui ne méritaient pas cette durée…

 "Je ne prends pas de photos dans un premier temps car je ne suis pas dans un zoo. J’attends qu’on vienne vers moi, je leur demande leur prénom, je dis le mien."

Comment êtes-vous accueillie par les détenus au sein de leur quotidien et comment établissez vous un contact ? 

Ça dépendait vraiment des pays dans lesquels je me suis rendue. En Russie j’étais très surveillée, par des femmes matonnes qui voulaient voir ce que je faisais et qui surveillaient mon temps. Elles ne parlaient pas anglais et au moment où j'étais sur place, il y avait une ONG qui donnait des cours d’anglais aux jeunes, donc ceux qui parlaient un peu l’anglais m’adressaient la parole et les matonnes ne comprenaient pas. J’étais partie avec un journaliste spécialiste du grand banditisme et pendant qu’il parlait aux surveillantes, je posais des questions aux jeunes.

En Israel, l’armée Tsahal m’a laissée complètement libre, en France, je n’avais pas le droit de parler aux prisonniers, au Brésil et au Cambodge, j’ai pu leur parler parce qu’ils ont tellement besoin de moyens qu’ils ne cherchent pas à empêcher le contact, au contraire, ils permettent la discussion. En Inde, je suis allée dans une prison d’état qui était atroce et dans laquelle je n’étais pas autorisée à parler aux jeunes, mais je suis aussi allée dans une autre prison tenue par un ancien commissaire de police, qui aidait les enfants grâce à une ONG. Aux Etats-Unis, je suis allée dans une vingtaine de prisons, des Boot Camps et des camps de discipline. J’ai parfois pu récolter quelques informations et dans certaines prisons j’ai eu le droit à des face à face avec les détenus. Seule, en tête à tête.

Dans tous ces pays, le point communs est que les détenus préféraient me poser des questions à moi. Pourquoi je venais de France pour m’intéresser à eux ? Est-ce que j’étais mariée ? Est-ce que j’avais des enfants ? Je trouvais cela assez juste qu’ils s’interrogent, ce qui nous permettait aussi d’être dans un échange humain. Je leur expliquais que je travaillais sur des sujets de Droits Humains et que je considérais que leur situation étaient anormale et je souhaitais en témoigner. Ils étaient très reconnaissants. Dans les pays arabes, beaucoup étaient très surpris que je sois mariée et que mon mari me laisse partir en laissant les enfants. Alors je me retrouvais à essayer d’expliquer en trois minutes la libération de la femme ! Je suis libre, je voyage si je le souhaite et mon mari s’occupe de nos enfants. C’est simple, non ?

Au départ les jeunes regardent beaucoup mon matériel photo, ils sont un peu surpris, méfiants, mais je leur réponds avec un sourire. Je ne prends pas de photos dans un premier temps car je ne suis pas dans un zoo. J’attends qu’on vienne vers moi, je leur demande leur prénom, je dis le mien. Ceux qui veulent viennent me parler et puis petit à petit ça se fait tout seul.

L'appareil facilite-t-il la communication, ou est-ce qu'au contraire, les détenus sont réticents ? 

Ils adorent ça. D’abord je leur explique pourquoi je suis là, que je viens témoigner de ce qu’ils vivent et chercher des preuves pour les sortir de l’ombre. Je leur dis que je viens amener le regard des autres à l’intérieur de la prison, puis leur regard à eux à l’extérieur, et ça, ça leur parle. Certains ne souhaitent pas être stigmatisés, je les prends alors de dos. D’autres sont au contraire très contents de pouvoir aider d’autres camarades emprisonnés en témoignant par le biais des photographies.

En 2001, le numérique n’existait pas encore alors certains me demandaient comment ça fonctionnait. Quand je déambulais dans les couloirs, dans les cellules, dans les cours de promenades avec l’appareil en bandoulière, ils m’appelaient pour que je les prenne en photo. Parfois je devais refuser car il fallait que je fasse attention à ne pas manquer de pélicules.

L’appareil photo est ma clef pour entrer dans ces mondes. Il me permet de rentrer dans les prisons et d’en sortir. Sans lui je n’ai aucune légitimité à me retrouver là bas.

Prison de Telmond, Section des mineurs, Ha Sharon, Tel Aviv, Israël.
Delta Boot Camp, Katy. Texas . USA.

Prison de Telmond, Section des mineurs, Ha Sharon, Tel Aviv, Israël.

Quartier de Haute Sécurité pour les mineurs palestiniens ou Arabes israéliens ayant porté atteinte à la sécurité de l’Etat hébreu. 81 détenus âgés de 14 à 18 ans, dont certains purgent des peines de 20 à 25 ans, sont répartis dans 27 cellules

Delta Boot Camp, Katy. Texas . USA.

5h du matin. 90 prisonniers mineurs font tous les matins, pendant plus d’une heure, des exercices - surtout des pompes - sous  les ordres des gardiens. Ils doivent attendre, en position, puis crier ensemble le nom de l’exercice et faire, sous les coups de sifflets rythmés, des séries de 25 mouvements sans faillir.

Les plus faibles ne tiennent pas ce rythme...

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Instituto Padre Severino, Rio de Janeiro, Brésil, Quartier pour mineurs.

Après le repas, qui ne dure que dix minutes en silence et têtes baissées, le retour dans les cellules se fait également en silence et têtes baissées dans cette prison tristement célèbre pour les traitements infligés aux mineurs par des gardiens très menaçants…

Black Canyon School, Arizona, USA.

Ecran de surveillance des cellules d’isolement. Les jeunes détenus peuvent y rester jusqu’à huit jours.  Ils y sont mis pour conduite agressive envers le personnel ou les autres détenus. Ils sont également placés en isolement  lorsqu’ils tentent de mettre fin à leur vie.

Quelles méthodes sont mises en place pour la réinsertion des jeunes après leur peines de prison ? Selon vous, quelles-seraient les priorités pour aider ces jeunes ? 

 

La CIDE (la Charte Internationale pour les Droits de l’Enfant), signée en 1989, stipule que nul enfant ne sera privé de liberté de façon illégale ou arbitraire et que la détention doit être une mesure de dernier ressort et d’une durée aussi brève que possible.

Par nature, un enfant n’a rien à faire en prison. Pourtant, on continue à créer des bagnes pour enfants, des maisons d’arrêt, des colonies pénitentiaires, des centres fermés, plutôt que de créer des centres éducatifs, des centres de prevention et des alternatives à l’emprisonnement. On veut donner à la prison un rôle qui n’a pas été assuré par la société mais on ne fait pas un être social dans un cadre asocial. En France, quand j’ai fait ce travail il y a dix ans, il y avait 790 mineurs détenus sur 54 prisons. Pour beaucoup, leur place serait bien mieux à l’apprentissage d’un métier ou de la lecture.

Victor Hugo disait, “Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons”.

La façon dont un état traite ses prisonniers est un bon indicateur de la démocratie de ce pays. La prison aggrave sans aucun doute leur situation plutôt que de l’améliorer. 

Dans les textes, les trois fonctions de la prison sont : punir, éduquer et réinsérer et les deux dernières sont très souvent oubliées.

Ces prisonniers d’où qu’ils soient ont besoin de cette éducation mais elle est majoritairement inexistante et quand ils sont libérés, rien n’a changé pour eux, et la conséquence majeure, c’est la récidive. Dans quasiment tous les pays que j’ai visités, 80% des jeunes récidivent. C’est un taux d’échec monstrueux !

Sacha, par exemple, un détenu de la prison russe de Lebedeva avait purgé sa peine et avait été libéré en plein hiver dans Saint-Petersbourg avec une unique chemise, et affamé. La première chose qu’il a dû faire était de voler du pain et un manteau. Il s’est retrouvé en prison quelques jours plus tard. Sans réinsertion, c’est un puit sans fond. L’absence de dignité conduit à la haine et à la révolte et l’absence de réinsertion conduit à la récidive.

 

Je suis sortie de ce reportage heureuse d’avoir pu montrer les conditions de détention des mineurs, mais j’étais aussi très accablée, de tristesse et de désolation de voir qu’il y a tant à faire.  

Entretien par Mathilde Azoze

Le 23.07.2018

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Prison de Moramanga, Madagascar.

Bruno, 16 ans, purge sa peine dans cette cellule avec des adultes, dont deux sont menottés aux barreaux des lits  car ils sont « évadés repris ». Il n’existe pas de cellule d’isolement dans cette prison. L’exiguïté et la vétusté sont terribles. Dans cette cellule de 35 m2, où règne une odeur âcre mêlée de transpiration et d’urine, les 101 détenus sont enfermés de 17h à 6h du matin. Ils dorment par terre ou sur des bas flancs, des lits en bois à deux étages avec au mieux, une natte pour seul matelas, envahie de punaises et de puces. Les mineurs disent avoir peur, car ils dorment dans la même cellule que les adultes…

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Children Observation Home N°2, New Delhi, Inde.

Dans cette prison gérée par l’Etat, le confinement est très sévère. La ronde des gardiens au-dessus des prisonniers, de jour comme de nuit...

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