
FERNANDO MOLERES
FREE MINORS AFRICA
"Si tu veux survivre, contrôle ton estomac, c’est le conseil donné aux jeunes qui arrivent dans la prison."
Comment avez-vous découvert et choisi de travailler sur le sujet des "Mineurs en détention" ?
L’impressionnant reportage de Lizzie Sadin sur les mineurs incarcérés dans le monde a été présenté à VISA pour l’Image en 2007. Je me souviens avoir été assez bouleversé par les circonstances terribles dans lesquelles sont enfermés ces jeunes africains dans les prisons. En plongeant dans cette tragédie, j’ai trouvé quelques rapports écrits mais très peu de d’images qui attestaient de cette réalité. C’est pour ça que j’ai envisagé de produire un travail photographique qui contribuerait à créer un alerte sur l’importance de ce problème et surtout à casser le silence qui entourent ces mineurs en prison.
Comment êtes-vous accédé aux les centres de détention et quelles-sont les conditions d'autorisation dans ces lieux ?
La bourse de photographie Revela en Espagne m’a donné l’impulsion nécessaire pour commencer le projet. Je me souviens qu’à la réception de la bourse, j’étais content mais j’avais des doutes sur ma capacité à aboutir ce projet. Pour entreprendre ce travail, j’ai essayé de contacter des organisations concernant les droits de l’Homme, des ONG religieuses, mais personne ne se sentait assez concerné pour me soutenir. Après des mois de recherches dans plusieurs pays différents, sans vraiment trouver d’option concluante pour approcher ce sujet, un ami m’a mis en contact avec la photographe Glenna Gordon, qui connaissait une personne qui travaillait en Sierra Leone. Elle travaillait pour l’Université d’Oxford, et faisait des recherches sur le système judiciaire et pénitentiaire là bas. Ça a pris du temps avant que je sois accepté au sein du groupe pour aller prendre des images. Pour ça, j’ai demandé à avoir un formulaire d’entrée signé par le chef de la prison d’état afin de pouvoir prendre des photos pendant 1 mois. Sans la couverture du programme de recherches de l’université d’Oxford, je n’aurais jamais passé la porte. Prendre des photos est formellement interdit.

Combien de temps restez-vous dans un centre ?
J’y suis allé 3 fois pendant l’année 2010. Un mois en février, pendant la saison sèche. Puis j’ai décidé d’y retourner pendant la saison des pluie, en aout, pour 10 jours, car l’atmosphère à l’intérieur et à l’extérieur était complètement différent. Cette atmosphère sombre, nuageux, humide … En aout je n’avais pas obtenu de permission à nouveau mais ils se sont souvenus de moi comme un membre du programme de recherches.
Comment les jeunes détenus vous accueillent-ils au sein de leur quotidien et comment créez-vous un lien avec eux ?
Mon arrivée à la prison de Pademba Road à Freetown était difficile : imaginez un homme blanc avec un appareil au milieu de 13 000 prisonniers qui vivent dans des conditions terribles, dont la plupart d’entre eux passent des années à attendre un procès.
J’ai eu un peu peur au début de mon séjour dans la prison, les gardes étaient très peu nombreux et non armés, et je me déplaçais seul. Mais petit à petit j’ai gagné la confiance des détenus, particulièrement grâce à mon diplôme d’infirmier. Certains des prisonniers me montraient leur problèmes, et j’essayais de les aider, en amenant des médicaments dans l’enceinte de la prison. Je prenais des photos de leurs maladies et blessures et je consultais des pharmaciens pour établir des diagnostiques et trouver des traitements. Avec les détenus les plus jeunes, c’était toujours plus facile de communiquer.

L'appareil photo facilite-t-il la communication avec les jeunes, ou sont-ils au contraire, réticents ?
Au début l’appareil peut parfois être un obstacle pour entrer en contact avec eux et peut aussi constituer une forme d’auto-censure. Mais j’y suis allé tous les jours pendant 6 à 8 heures, pendant 1 mois, donc petit à petit ils ont compris que j’étais journaliste et ils étaient ensuite d’accord pour que je dénonce l’horrible et inhumaine situation dans laquelle ils se trouvent.
Avez-vous été choqué par les conditions de détention ? Pensez-vous qu'elles sont adaptées aux jeunes prisonniers ?
Leurs vies sont mises en danger par la longueur de leurs peines, et par les conditions dans lesquelles ils les effectuent. Il n’y a aucune hygiène, l’eau et la nourriture sont insuffisantes, et ils sont en constante lutte pour leur survie, ce qui amène des tensions et des violences.
Un jour j’ai vu Abdul, 12 ans, assis par terre, effrayé. Je lui ai demandé si il avait mangé, mais il n’avait rien pris. En plus de ça, les plus jeunes détenus souffrent de la violence des plus agés, qui leur offrent de la nourriture en échange d’agressions sexuelles. « Si tu veux survivre contrôle ton estomac », c’est le conseil donné aux jeunes qui arrivent dans la prison.


Quelles méthodes sont mises en place pour la réinsertion des jeunes après leur peines de prison ?
Il n’y a aucune méthode de réinsertion. Ils sont considérés comme des parias. Personne ne prend soin d’eux, même leurs familles les rejettent. C’est un gros problème parce que certains d’entre eux sortent de prison et puis reviennent très peu de temps après car ils n’ont aucune opportunité de s’en sortir au sein de ce pays très pauvre.
Mon essai sur les mineurs en détention a été publié dans la presse européenne (The Independant, Le Monde, The Sunday Times, Libération, NZZ, El Pais Semanal…) mais cette histoire n’a pas dépassé les informations étrangères, et cette tragédie aurait du trouver un plus large public. Si je voulais vraiment aider ces mineurs, il fallait que j’aille plus loin. J’ai donc créé FREE MINORS AFRICA (FMA), un projet qui apporte une aide légale et des cautions à ceux qui sont incarcérés pour des infractions mineures. Nous aidons aussi à leur réinsertion dans la société. Il est fondamental d’offrir un abri aux jeunes fraîchement libérés qui ont purgé leur peine, mais qui n’ont nulle part où aller. Nous nous concentrons également sur la scolarité, et nous avons créé la seule école pour les mineurs incarcérés dans Freetown. Il y a une autre prison juvénile avec environ 40 détenus dans la ville mais la négligence de la police et des autorités de justice envoie les jeunes dans le plus gros pénitencier de Pademba, où plus de 1000 adultes sont enfermés aussi.
Entretien par Mathilde Azoze