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SOLMAZ DARYANI

SÉCHERESSE(S)

Solmaz Daryani est une photographe-reporter iranienne. Elle a d'abord appris la photographie pour pouvoir découvrir le monde et s'éloigner de son pays. Aujourd'hui, elle vit à Londres mais tous ses sujets d'études traitent de la crise de l'eau en Iran et des problèmes environnementaux dûs au réchauffement climatique. Elle sillonne son pays pour documenter ces terres desséchées et abandonnées, afin d'attirer l'attention sur l'impact de l'homme sur ses propres terres et points d'eau. 

Comment avez-vous commencé la photographie ? Qu'est-ce qui vous a menée à témoigner sur des sujets écologiques ?

Quand j’avais 24 ans j’ai décidé d’apprendre la photographie pour pouvoir voyager loin de mon pays, c’était une excuse. Je n’ai pas pris de cours de photographie, mais à la place j’ai lu des livres, des articles et  je suis allée sur des sites internet. Tout ça a fait de moi une autodidacte, ce qui je pense est plus compliqué que d’apprendre avec les apprentissages tout prêts des universités, mais dans un sens, j’étais libre de développer mon propre style. La société Iranienne était plus fermée a l’époque et l’appareil photo était un outil pour ouvrir de nombreuses portes. Ça a été déterminant pour moi. Pendant que je voyageais pour développer mes compétences en photographie, j’ai réalisé que la chose la plus importante pour moi c’était de faire en sorte que les gens prennent conscience plus profondément des choses apparement simples autour d’eux. Dans mes premières années d’apprentissage de la photographie, la sécheresse du Lac Urmia était la chose la plus importante qui se déroulait lentement autour de moi, et ça retenait l’attention de tout le monde, en particulier ceux qui vivaient dans les environs. J'ai donc commencé à photographier cette catastrophe environnementale avec l’espoir de montrer et de décrire l’impact de l’être humain sur la nature et puis les conséquences, et la façon dont l’assèchement du Lac Urmia impacte les populations. J'y ai inclus la façon dont la vie de mes grands parents a été directement affectée. 

Quand je regarde mon pays, je vois que le Lac Urmia est loin d’être le seul endroit victime du changement de climat, du sur-développement, de la mauvaise consommation de l’eau et de la sécheresse. Il y a beaucoup de lacs et de points d’eau qui sont affectés en Iran, alors j'ai décidé de continuer à travailler sur le sujet de l’écologie aux quatre coins de l'Iran, et peut-être d’autres pays dans le futur. 

Vous approchez toujours vos sujets en mixant votre histoire personnelle et vos photographies actuelles. Vous intégrer en tant que citoyenne iranienne est-il une façon de parler du réel impact des sujets traités sur le quotidien des iraniens ? 

Il y a une phrase perse qui dit « Ce qui provient de l'essence personnelle, par nécessité, se repose sur le coeur ». J’essaye d’appocher mes sujets en mixant mon histoire personnelle pour trouver un langage commun et avoir des interactions entre mes pensées et les gens qui voient mon travail et avoir le plus gros impact possible pour créer une petite étincelle dans leurs esprits. Et mon identité de femme iranienne est intégrée dans mes histoires ainsi que la façon dont je pense a certaines choses dans différentes situations. J’essaye toujours d’avoir une vision du monde a travers mon identité, afin de voir les choses de façon impartiale. 

Comment les iraniens sont-ils informés, et se sentent-ils concernés par les problèmes inhérents à l'écologie ? 

L’internet est de plus en plus populaire parmi les iranien et particulièrement pour la jeunesse.

C’est pour eux une nouvelle forme de médias, malgré la limitation de son utilisation (en comparaison aux pays de l’ouest). D’après les rapports officiels, 53% de la population iranienne utilise internet comme une source d’information et de communication. De mon point de vue, et c’est pareil dans beaucoup de pays dans le monde, les réseaux sociaux et internet sont la source de beaucoup de changements sociaux dans différents domaines, et c’est pareil pour certaines choses de la vie quotidienne en Iran. Deux ans après avoir commencé mon projet sur le Lac Urmia, Léonardo Di Caprio a partagé une photo du Lac sur son Instagram  ce qui a apporté un importance énorme à ce problème de la crise de l’eau en Iran, alors que ça avait commencé 12 ans auparavant. Soudain les gens portaient de l’attention aux catastrophes environnementales qui se passent juste à côté d’eux depuis des années. Mon pays fait face a une crise de l’eau sérieuse, une désertification de ses lacs et rivières autrefois fertiles. Cependant je pense qu’à présent les iraniens se sentent plus concernés par le réchauffement climatique et les catastrophes environnementales qu’avant. 

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En 2014, le président Hassan Rouhani a engagé 5 milliards de dollars pour la conservation du Lac Urmia. Était-ce déjà trop tard ?  

Le Lac Urmia s’est desséché de 80% en 20 ans, et de ce que j’en sais, l’argent va principalement à la gestion de l’eau, en réduisant son utilisation par les fermiers, et en prévoyant une restauration de l’environnement sur 10 ans. Déjà deux ans sont passés depuis que le président Hassan Rouhani s’est engagé a dépenser 5 milliards de dollars pour ressusciter le Lac Urmia. Ce que je constate, c’est que rien n’a changé ces dernières années. 

La perte du Lac Urmia peut-elle être considérée comme une perte dans l'identité iranienne ?

Le Lac Urmia est situé dans la région nord ouest iranienne, près de l’Azerbaïdjan. Je ne pense pas que la perte du lac d’Urmia soit une perte d’identité pour tous les iraniens mais plus pour les 5 millions de gens qui se sont liés a cet environnement depuis des années et la signification et l’impact direct sur leur mode de vie autour du lac. 

Y a-t-il d'autres exemples notoires en terme de réchauffement climatique en Iran ? ​

Comme je le disais, quand je regarde mon pays, je vois bien que le Lac Urmia n’est pas le seul endroit qui est victime du changement climatique, du sur-développement de l’agriculture, de la mauvaise utilisation de l’eau et de l’extraction des sols a travers des milliers de puits illégaux etc. Il y a beaucoup d’étangs, de lacs, et d’étendues vertes qui sont affectés par la sécheresse en Iran. La province de Sistan-Balouchestan par exemple, partie sud-est du pays qui est bordée par le Pakistan et l’Afghanistan - plus grande région d’Iran - est devenue une terre pauvre car ses habitants fuient.

Dans les dernières vingts années, le Lac Hamoun, autrefois fertile, a quasiment entièrement séché à cause des différents Iran-Aghanistan à propos de la Rivière Helmand et la sécheresse. Dans le centre de l’Iran, la rivière Zayanderood, qui coulait entre différents villages et villes comme Isfahan est en train de souffrir aussi. Depuis 7 ans, la rivière s’assèche pendant 6 mois chaque année. L’agriculture autour des villes et villages s’abime, et les gens perdent leur business familiaux. Dans le Sud-Ouest de l’Iran, dans la province de Khuezkstan, dans le champ pétrolier de Azadegan (le 3ème plus grand du monde) se trouve le Lagon d’Hurolazim (118 000 hectares) et les compagnies de pétrole ont creusé des puits. Le Lagon se transforme en désert, il y a des tempêtes de sable, ce qui créé des ravages pour les habitants de la province. Ce n’est pas seulement le réchauffement climatique qui a un impact sur mon pays, mais aussi la non gestion des eaux dans l’agriculture. 

© Solmaz Daryani, Communauté des Mandeans, Iran 2016
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Récemment, vous avez documenté la communauté des Mandeans, une minorité religieuse installée à Avhaz (ville la plus polluée d'Iran), près du fleuve Karoun. Cette communauté persécutée considère l'eau en mouvement comme sacrée, et une manière de se rapprocher de la lumière. Tentent-ils de préserver la rivière ?

Il y a des personnes dans cette communauté, particulièrement les plus religieux, qui pensent que toute eau en mouvement est propre et qu'il ne peut pas y avoir quoi que ce soit de toxique dans cette eau.

J’ai posé des questions à propos de la pollution de l’eau a un Tarmida près du fleuve Karoun, pendant qu’il utilisait une simple paille en aluminium pour filtrer l’eau directement du fleuve. Un Tarmida est le second rang le la hiérarchie religieuse des Mandeans. Il m’a répondu «L’eau que vous voyez ici est apparement polluée, mais par nature, elle est physiquement, scientifiquement et rituellement parlant, propre», puis «Premièrement, physiquement, il n’y a rien de superflu dans cette eau, parce que c’est de l’eau courante. Deuxièmement, cette eau est vivante, le soleil et l’oxygen purifient l’eau et l’eau courante est constamment exposée à ces deux éléments. Donc l’eau que vous voyez, même si elle vous parait polluée, ne peut pas nous faire de mal. ».

D’autres personnes de la communauté religieuse, les plus jeunes particulièrement, ne sont pas si convaincus. Certains évitent les baptêmes hebdomadaires, et réservent cette interaction avec l’eau pour les plus occasions plus importantes, comme les rites de baptêmes après le mariage. Ils n’ont aucun pouvoir pour préserver le plus long et imposant fleuve d'Iran, mais ils en nettoient les bords, pour pouvoir faire leurs rituels et dire leurs prières.

Les membres de cette communauté sont considérés comme des "Najis" (sale), par certain musulmans. Est ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi ? 

Tous les musulmans ne les considèrent pas comme des « Najis », mais de ce que je sais, cela vient surtout d'un groupe d’iraniens qui vit à Ahvaz (communauté régionale dans laquelle ils vivent). Je suppose que des millions d’iraniens ne connaissent même pas l’existence des Mandeans comme minorité religieuse. Quand je parlais avec les Mandeans, ils se plaignaient tous de la discrimination et du non-respect de la communauté musulmane d’Ahvaz. D’après les Mandeans, c’est à cause de leurs différences religieuses, mais aussi à cause de leur culture et le fait qu’ils ne soient pas reconnus comme minorité religieuse par le gouvernement iranien. Ils manquent donc de certaines opportunités que les musulmans Shia se voient offrir. 

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Si vous aviez un conseil a donner à un jeune photo-reporter, quel serait-il ? 

Je pourrais avoir plusieurs conseils mais la première chose qui me vient à l’esprit c’est que l’on doit avoir quelque chose à dire et que l’on doit photographier les choses qui nous tiennent vraiment à coeur, de manière a faire réfléchir les gens.

Auriez vous un conseil différent pour une femme photo-reporter ​en Iran ? 

Il y a 8 ans, quand j’ai commencé à prendre des photos, être une femme photographe en Iran n’était pas sans crainte, car la société était encore plus fermée. Maintenant, les limitations pour les femmes photo-journalistes sont les zones éloignées de routes modernes. À cause des conditions physiques et bien sûr, à cause du manque de sécurité et la culture et les traditions qui entourent la femme-photographe dans ces endroits là. Elles font face a certaines limitations sur différents projets, mais être une femme-photographe a sans aucun doute des avantages, particulièrement dans un pays religieux, ça aide quand il s’agit de photographier des familles, des femmes, des filles, des mariages, et ça vous permet d’entrer dans les maisons et les espaces personnels des gens. 

Entretien par Mathilde Azoze

Traduit de l'anglais - le 15.12.2018

PHOTO INEDITE 

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Sur cette photo on peut voir le Mont Khajeh (qui date du premier siècle de notre ère) il y a 15 ans, lorsque le Lac Hamoun était saturé en eau. Le mont Khwaja se dressait comme une île parmi les eaux du lac. Mais au cours de ces 15 années, les eaux qui l’entourent ont été desséchées. L'Afghanistan empêche le fleuve Hirmand d'entrer en Iran. La perturbation complète des eaux du fleuve en Afghanistan en 2017 a entraîné une aggravation de la sécheresse dans le sud-est de l'Iran par rapport aux années précédentes. La sécheresse du lac Hamoun, d'une part, et les vents de 120 jours de Sistan et Balouchistan, d'autre part, ont affectés les conditions environnementales des villages frontaliers de l'est. La sécheresse et les maisons ensevelies sous la tempête de sable ont obligé les personnes à migrer vers des villes telles que Mashhad, Téhéran, Gorgan et Karaj. Certains de ces villages sont délaissés et que ceux qui sont restés font face à de graves problèmes.

 

Solmaz Daryani

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