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Laurence Geai Horschamp République du Congo

Laurencegeai

INFORMATION(S)

Débutée en 2014, la carrière de photo-reporter de Laurence l’a déjà amenée à couvrir certains des plus importants événements des dernières années. De l’opération française en Centrafrique à la guerre en Syrie en passant par le conflit autour de l’eau en Israël et Palestine, la portée de ses images est éminemment journalistique. L’émotion est là, mais toujours en marge des histoires que la photographe s’emploie à raconter avec un souci de véracité. Le travail de Laurence Geai a été présenté dans de nombreux festivals internationaux, la photo reporter étant notamment finaliste du prix Bayeux des correspondants de guerre en 2019 et lauréate du prix Polka en 2017.

Laurence Geai travaillant régulièrement sur des zones de conflits, certains de ses sujets n'ont volontairement pas été abordés.

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Comment en êtes-vous venu à la photographie ? 

La photographie n’était pas du tout une passion, c’est un hasard total qui m’y a menée. J’étais journaliste TV, et ai rencontré Patrick Chauvel à une soirée de mon entreprise. On a beaucoup discuté, je voulais d’abord comprendre pourquoi il risquait sa vie pour raconter celle des autres. J’étais intéressée par les zones de conflit mais surtout, un peu naïvement, par la nature humaine : comment on peut en arriver à de telles situations, aujourd’hui encore. On s’est revu plusieurs fois après cette soirée et au fil des discussions, il m’a vraiment donné envie d’aller voir par moi-même, et de raconter. Je n’avais pas la plume nécessaire pour écrire, et pour moi c’était plus facile d’y aller avec un appareil photo. J’ai une sensibilité particulière à l’image fixe, parce qu’elle reste en tête et qu’elle traverse les époques, reste dans la mémoire collective, peut-être plus que l’image animée. La photo est un média qui me marque, et c’est selon moi un bon moyen de véhiculer des informations. 

Je me sens utile quand je suis là bas. Je pense que c’est un métier qui sera toujours important et il faut que des gens extérieurs viennent raconter ce qu’il se passe dans ces zones pour essayer de comprendre.

En 2013, vous décidez de partir en voyage sur le terrain seule, comme pour tester votre résistance à la peur. Qu’est ce que ce premier voyage vous a appris ?

 

Je suis partie à l’étranger faire mon premier reportage. Au retour les photos n’étaient pas bonnes mais j’ai compris pourquoi c’était mauvais, et l’humilité permet de s’améliorer. J’avais passé plus de temps à parler aux gens qu’à faire des photos, n’avais pas eu un positionnement de photo-journaliste, car je n’osais pas : j’étais timide et ne voulais pas déranger. J’ai ensuite compris que ce métier c’était aussi un caractère, un comportement particulier face aux situations dramatiques que l’on rencontre et ce comportement nous permet d’arriver à s’immiscer dans la vie des gens et de raconter leurs histoires.

En 2014, Jean-François Leroy, directeur de Visa pour l’image, vous repère et projète votre travail « Les larmes d’Alep » durant le festival, puis vos sujets sur la Centrafrique et Gaza en projections collectives. Pour la jeune photo-reporter que vous êtes, qu’est-ce que cette reconnaissance a provoqué en vous ? Qu’est-ce qui change professionnellement après ça ? 

 

Ça faisait à peu près 6 mois que je m’étais lancée entièrement dans la photo. Je m’étais donnée un an pour voir si je pouvais en vivre. Jean-François Leroy m’a lancée, il a été un pilier pour moi. Avant cette édition de Visa pour l’image, je ne me sentais pas prête à montrer mes photos mais il insistait pour que je lui envoie à chaque fois que je faisais du terrain. Le dernier soir de Visa, mon travail a été projeté et beaucoup de gens sont venus me voir après ça, alors que j’étais totalement inconnue. Ça m’a beaucoup aidée pour la presse française. Après ça Le Monde m’a envoyée en Irak avec Annick Cojean pour les travailler sur les Yezidis. C’est donc grâce à Jean-François Leroy que j’ai pu commencer à travailler comme je le fais aujourd’hui. 

Votre sujet Eaux Troubles aborde le conflit israélo-palestinien sous le prisme de l’accès à
l’eau. Qu’est-ce qui diffère dans votre approche de photo-reporter quand vous concentrez sur les conséquences sous-jacentes d’un conflit plutôt que sur ses manifestations plus évidentes ? 

 

C’est plus intéressant car on va plus dans la profondeur. Ça m’a beaucoup plu de creuser plus que sur des conflits purs et durs comme l’Opération Bordure Protectrice à Gaza par exemple. C’était un challenge de le raconter en image car ce n’était pas simple de faire toujours des photographies fortes et construites. ll y a plein de petites histoires très intéressantes, qui parlent de ce conflit lié à l’eau en Palestine et Israël et c’était une super enquête à mener. Je racontais toujours les histoires en allant voir des deux côtés. Les photos de conflits amènent souvent aux mêmes images : les camps de réfugiés, les distributions alimentaires, les gens qui fuient, des choses qui sont visuellement plus évidentes à raconter, plus faciles à montrer. Sur ce sujet de l’eau, c’était plus insidieux visuellement mais c’était passionnant de pouvoir donner une voix à tous les partis.

Laurence Geai Horschamp Eaux Troubles
Laurence Geai Horschamp Eaux Troubles

L’émotion est palpable dans vos photographies. En quoi peut elle être nécessaire dans la diffusion d’une information ? Lors de l’editing, privilégiez-vous l’émotion ou l’information d’une image ? 

 

Je privilégie l’information, bien sûr, mais je fais en sorte que l’émotion soit également présente si la situation le permet. L’information est primordiale mais c’est l’émotion qui permettra que la photo reste dans la tête des gens. L’éditing est très dur pour moi, aujourd’hui je sélectionne beaucoup plus. Sauf sur les sujets pour lesquels je n’ai pas de recul du tout : dans ces cas là je laisse les journaux le faire à ma place. Je connais maintenant bien les éditeurs donc je leur fais confiance, même si je donne toujours des précisons lors de l’envoi de mes images.

J’ai tendance à très vite détester mes photographies, celles que j’aurais faites la veille par exemple. C’est très pénible ! Et en même temps ça me permet de réfléchir en permanence. Je me pose beaucoup de questions sur la retouche, qui est mon gros point faible. Je ne modifie quasiment rien car je veux que ce soit le plus naturel possible mais en même temps je sais que ça peut être un moyen d’affirmer son point de vue. Certains de mes confrères ont des retouches magnifiques, qui respectent totalement la réalité. Il faut arriver à trouver sa patte. 

En 2017, vous suivez François Hollande pendant les derniers mois de son quinquennat et en dressez un portrait très intime. En quoi est-ce différent de photographier la politique dans son propre pays ? 

 

L’avantage à Paris c’est que j’avais accès à tout. J’ai découvert plein de choses. J’avais émis le souhait de faire de la photo politique au journal Le Monde et je pensais commencer par un petit candidat, mais l’on m’a proposé de remplacer un confrère pour un voyage officiel de François Hollande en Egypte et Jordanie. J’y suis allée en me disant que cela me permettrait de mieux comprendre la politique étrangère menée par la France. J’ai ensuite pu le suivre de décembre 2016 à mai 2017, sur la fin de son quinquennat. À l’étranger, les accès sont beaucoup plus difficiles à obtenir, j’ai essayé dans différents pays et ne pouvais pas dire que j’étais journaliste. Je devais mentir tout le temps, chaque photo était un problème. Ce sujet a donc été très enrichissant personnellement, j’ai adoré le faire et y travaillais pendant mes jours de congé. En parallèle je photographiais la campagne présidentielle de la droite et de l’extrême droite pour Le Monde : c’était très complet !

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Comment gérez vous le retour au quotidien après avoir couvert un conflit ? Arrivez-vous à vous en détacher ? 

 

Je n’ai pas du tout de problème de retour, et suis très contente de rentrer chez moi. Je couvre souvent des pays difficiles et je suis toujours consciente de la chance que j’ai de pouvoir rentrer contrairement aux personnes que je photographie là-bas. 

Je ne fais pas de cauchemars, je n’ai pas encore de traumatismes et j’espère d’ailleurs que ça n’arrivera jamais. Je ne travaille pas exclusivement dans des zones de conflit non plus, j’adore  aussi bosser en France. Par exemple, en ce moment je photographie la crise sanitaire actuelle de mon propre chef, même si je n’ai pas de commande.

Auriez-vous un conseil à donner à un jeune qui se destinerait à être photo-journaliste ? 

 

Il faut choisir des histoires qui nous tiennent à coeur et les documenter de manière journalistique.  Il faut aimer se renseigner, et vérifier toutes les informations. Dans le métier de photo-journaliste, il faut évidement travailler son regard, mais la fibre journalistique est extrêmement importante justement pour raconter ces histoires.

Entretien par Mathilde Azoze

et Léo Samir Rougier - le 20.04.2020

Laurence Geai, Horschamp, Irak
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