Photo du mois
Juin 2020
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Chloé Sharrock

"Je me souviens du choc lorsque je suis tombée par hasard sur les chiffres du taux d’excision en Egypte. Comme beaucoup, j’avais des conceptions faussées quant à cette pratique, que j’assimilais principalement aux pays de l'Afrique Subsaharienne. Pourtant, c’est bien en Egypte, il y 4000 ans, qu’elle est apparue, tandis qu’aujourd’hui plus de 90% des femmes entre 14 et 65 ans ont subi une forme de mutilation partielle ou totale des organes génitaux féminins. Et si en 2008 la pratique a été criminalisée, puis les peines alourdies de nouveau en 2017, on ne compte pourtant que trois condamnations ces dix dernières années.
Nous sommes en Juin 2018, je pars donc pour le Caire.
Mais la situation politique rends tout travail journalistique particulièrement difficile, plaçant l’Egypte dans les cinq pires pays au monde concernant les droits de la presse. Un sujet comme celui-ci, touchant aux traditions, à la religion et la sexualité, est alors difficile et risqué à réaliser.
Mon premier séjour est un échec. Sur place, aucune initiative concrète n’est mise en place pour lutter contre la pratique, les associations pratiquent la langue de bois par peur de représailles, quant à moi, sous couvert d’un visa touristique pour ne pas attirer l’attention, je peine à ouvrir les bonnes portes sans me faire repérer. Je rentre en France découragée, et furieuse de ce manque d’action pour lutter contre cette pratique.
Six mois plus tard, je retourne en Egypte pour une deuxième tentative: Mais comment représenter la lutte dans ces conditions ?
Je décide alors de me concentrer là où le changement a déjà eu lieu, et de réaliser une série de portraits de femmes victimes d’excision qui ont décidé de ne pas perpétuer cette pratique sur leur propre fille. Ce sont ces femmes qui représentent le changement, et à travers leurs témoignages, il sera possible de mettre en lumière le changement de mentalité qui permettra le recul de cette pratique.
C’est dans ce contexte que j’ai rencontré Marsa (34 ans) et sa fille Barbara-Anna (8 ans) à El-Bersha, un petit village Copte de la Haute Egypte.
Marsa et sa soeur avaient été toutes deux victimes d’excision lorsqu’elles avaient 12 et 13 ans, un soir après l’école. Dans ces zones rurales, ce sont bien souvent une « da’ya » ou un barbier qui excisent les jeunes filles à l’aide de couteaux ou rasoirs mal aiguisés.
Marsa et de nombreuses autres femmes du village ont cependant décidé d’abandonner cette pratique et d’aller à l’encontre de la pression sociale lorsque le Père Aghathon, prêtre du village, s’est fermement positionné contre cette tradition.
L’excision est bien souvent justifiée par le discours religieux, ancrant au plus profond du tissu social cette tradition, les leaders religieux peuvent ainsi avoir une grande influence sur la lutte.
Aujourd’hui, un lent changement semble enfin opérer en Egypte. Ainsi, 70 % des jeunes filles âgées de 15-19 ans ont été mutilées en 2015, contre 81 % en 1998. Cependant le chemin a parcourir est long, avec chaque année près de 500 000 jeunes filles qui risque d’être excisées à leur tour. "
Chloé Sharrock, France,
@sharrock.chloe