
cha gonzalez
nuit(s) beyrouthines
Cha Gonzalez a passé son adolescence à Beyrouth, puis est rentrée à Paris. Depuis, elle photographie la fête, les corps et la nuit.
À l'occasion de l'exposition "C'est Beyrouth", elle retourne dans la capitale libanaise pour observer comment les jeunes y font la fête et percer les carapaces d'une jeunesse qui vit dans le contrôle de son image.
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Vous avez grandi à Beyrouth au moment de votre adolescence, que vous reste-t-il de cette expérience ? Est-ce qu’on quitte vraiment Beyrouth un jour ?
J’ai mis du temps. Quand je suis arrivée en France j’étais complètement déphasée, je parlais à tout le monde, j’engageais même des discussions avec les gens que je croisais dans le métro. Ma mentalité était complètement différente de celle qu’on peut trouver chez les français. Je suis arrivée en première, je ne connaissais aucun mot d’argot par exemple, je n’avais qu’une amie. Ça a été un peu dur, c’est d’ailleurs en rentrant que j’ai commencé à avoir des crises d’angoisses, et j’ai mis du temps à me faire à Paris.
Comment se construit-on en tant que jeune fille dans une ville comme Beyrouth ?
Je suis arrivée à Beyrouth en sixième, pile dans la période où tout se construit. Mais j’ai toujours été différente de toutes façons, que ce soit à Beyrouth ou à Paris. J’étais une jeune fille très désinhibée, et je le suis restée. Dans les fêtes au collège, quand je dansais on me regardait bizarrement. Quand je suis retournée à Beyrouth pour faire des photos cette année, j’ai ressenti la même chose que quand j’étais ado, c’était très étrange, cette espèce de maitrise de soi, où il faut danser mais pas trop, pour faire joli etc … je n’avais pas d’allié à l’époque non plus de ce côté là. D’ailleurs maintenant je suis plus amie avec des garçons là-bas parce qu’ils dansent plus librement.
En général, votre travail porte beaucoup sur la nuit, la fête, le corps. Pourquoi ?
L’essentiel dans mon travail, c’est ce qu’il y a derrière la carapace des gens, et ça se révèle plus volontiers en soirée, dans ce qu’il y a de bon comme de mauvais. C’est l’expression primaire, et l’émotion qui ressortent là. La première fois que je suis allée dans une fête où les gens avaient pris de la MD, j’avais l’impression d’être avec des gens qui étaient comme moi, alors que je ne bois pas et je ne consomme aucune drogue. L’alcool désinhibe mais ne mêne pas vers quelque chose qui me ressemble à moi, c’est plus agressif à mon sens. Je trouve que l’alcool amoindrit plutôt qu’élève alors que certaines drogues amène une ambiance plus positive. Je suis donc de plus en plus allée vers les fêtes ou ce genre de sentiments se dégageaient. Mais je m'y rendais d'abord pour la musique et pour danser, et petit à petit j’ai amené mon appareil avec moi.


Est-ce que le fait que l’équilibre politique et social du Liban tient à un fil influe sur la manière dont les gens font la fête ?
Il n’y avait pas trop de sentiment d’urgence de faire la fête dans le sens de la fuite mais j’ai constaté beaucoup de gens en représentation, qui se mettent en scène pour les réseaux sociaux par exemple. La fête est de toutes façons un moyen d’échappatoire, que ce soit à Beyrouth, à Paris ou ailleurs. Là-bas il n’y a pas vraiment de pudeur au niveau des photos, à part au sein de la communauté lesbienne parce que c’est encore un tabou dans la société libanaise. Ce que j’ai remarqué, c’est que même les classes sociales ne se mélangent pas, il y a des fêtes pour les riches et des fêtes pour les pauvres. Certains quartiers sont plus propices aux unes ou aux autres. Dans la fête il y a plus d’histoire d’argent que d’histoire de religion. Dans un bar on peut croiser des chrétiens et des musulmans, surtout chez les jeunes qui écoutent de la musique occidentale, mais c’est l’argent qui va mener plutôt à telle ou telle fête. Et mêmes les fêtes des « pauvres » sont très chères, on paye 20 dollars à l’entrée et les consommations sont a des prix exorbitants. Finalement moi je me retrouvais avec les rares personnes qui naviguaient entre les fêtes. Beaucoup de jeunes continuent à aller dans les bars ou chez des gens car ils n’ont pas les moyens.
Finalement, est-ce que le monde de la nuit parle du pays ?
D’une certaine manière oui. Dans les quatre photos exposées, il y en a deux prises à une fête très chère, et deux dans une fête plus accessible, qui ressemble plus aux fêtes qu’on peut trouver à Berlin par exemple, et qui coutait moins cher. À Beyrouth, les fêtes sont énormes, complètement démesurées, avec des Dj qui sont surpayés, à coup de 50 000, 80 000 dollars la soirée. Tout est fait dans ces clubs pour que les gens consomment, même la piste de danse est réduite. La première fois que je me suis rendue dans un club là-bas, il n’y avait que des mecs, et j’ai trouvé beaucoup plus de femmes qui près de la piste de danse et du mur de son. Parfois le videur demande de danser un peu moins parce que ça ne se fait pas. Les gens sont là pour boire, discuter et bouger un petit peu en souriant. Certains hommes que j’ai croisé se lavent pour aller en after. Ils ont leurs vêtements propres dans le coffre de leur voiture. Les afters ressemblent donc aux débuts de soirée parce que tout le monde est clean. Les gens sont très proches de leur image, le contrôle social est très présent. J’aurais pu faire un sujet où j’observe ce qui est spécifique aux fêtes libanaises mais je voulais faire les mêmes photos qu’en France, je voulais trouver ce qui relie les deux pays à ce moment-là. Je suis donc allée voir ceux qui sont la pour la musique, ceux qui vont dans des soirées un peu en marge. J’ai constaté un coté très superficiel dans ces soirées libanaises, mais j’ai essayé de trouver les failles, comme je peux le faire aussi en France.
Entretien par Mathilde Azoze - 12.04.2019