
LGBT : LUMIÈRE SUR Les SEXUALITÉs INTERDITEs
© Bradley Secker
BRADLEY SECKER
KÜTMAAN : RÉFUGIÉS ET HOMOSEXUELS
"En plus du racisme dont sont victimes les réfugiés en général dans ces pays, ils sont souvent confrontés à l’homophobie des habitants du pays d’accueil mais également des autres réfugiés."
« Kütmaan » signifie en arabe l’acte de se cacher. Pourquoi ces personnes que vous avez rencontrées sont elles contraintes de quitter leur pays ?
Les gays, les lesbiennes et les transsexuels que j’ai photographiés dans le cadre de mon projet Kütmaan ont décidé ou ont été obligé de quitter leur pays pour des raisons liées à leur sexualité et/ou leur identité de genre.
J’ai commencé ce projet en 2010 en documentant la situation des gays irakiens qui ont fui à Damas, en Syrie. Après 2006, il y a eu une vague de meurtres homophobes en Irak, encouragés par différents chefs religieux et perpétrés par des milices chiites et sunnites. Les hommes à qui j’ai parlé se sentaient donc plus en sécurité en Syrie, même si beaucoup expliquaient que certaines banlieues de Damas étaient déjà devenues des microcosmes de la société irakienne, incluant à ce titre des personnes ayant commis ou soutenu les meurtres homophobes, que ce soient des individus homophobes, des membres présumés de milices mais aussi certains acteurs politiques.
La situation est différente pour les hommes gays iraniens que j’ai photographiés et interviewés en Anatolie. L’homosexualité est illégale en Iran, ce qui n’est pas le cas en Irak. Beaucoup d’entre eux m’ont ainsi raconté des histoires d’emprisonnements, d’attaques verbales et physiques en Iran. Mais j'ai également entendu des histoires plus positives, où les familles les acceptaient, allant parfois jusqu’à quitter ensemble l’Iran pour s’installer en Turquie ou dans un autre pays.
Chaque individu a donc sa propre histoire. Pour les gays syriens que j’ai rencontrés à Istanbul et dans le reste de la Turquie, leur départ s’expliquait par des raisons tant liées à leur sexualité personnelle qu’au conflit politique et militaire que traverse leur pays.
Le consensus général est qu'à cause du fort niveau d’intolérance envers l’homosexualité dans leur pays d’origine, ils estiment que leur avenir sera meilleur dans un autre pays : souvent en Europe de l’Ouest ou en Amérique du Nord, où il existe des lois pour les protéger et non pour criminaliser leur identité.
"Le consensus général est que, à cause du fort niveau d’intolérance envers l’homosexualité dans leur pays d’origine, ils estiment que leur avenir sera meilleur dans un autre pays : souvent en Europe de l’Ouest ou en Amérique du Nord, où il existe des lois pour les protéger et non pour criminaliser leur identité."
Vous avez rencontré beaucoup de ces hommes en Turquie ou au Liban, par exemple, où ils attendent une nouvelle réinstallation dans un pays tiers. Quelle-est leur situation en tant qu’homosexuels et réfugiés dans ces pays?
En effet, c’est principalement en Syrie, Liban et Turquie que j’ai rencontré et photographié ces personnes attendant d’être réinstallées.
Leur situation est complexe, car ils sont stigmatisé en raison à la fois de leur homosexualité et de leur statut de réfugié dans un pays d’accueil temporaire. En plus du racisme dont sont victimes les réfugiés en général dans ces pays, ils sont souvent confrontés à l’homophobie des habitants du pays d’accueil mais également des autres réfugiés. À cause de cela, la plupart des communautés gays ou LGBTQ en exil sont très actives, surtout sur internet mais aussi dans le monde réel, et regroupent des individus qui cherchent à se rencontrer et se réunir pour trouver de la force et du soutien.
Pour de nombreux réfugiés gays iraniens en Turquie, il existe un climat de méfiance, puisque l’on pense souvent au sein de la communauté qu’il pourrait y avoir certains individus prétendant être homosexuels ou LGBTQ mais étant en réalité cisgenres et hétérosexuels.
Existe-t-il des communautés fortes ou des associations pouvant les aider et les guider lorsqu’ils arrivent dans ces nouveaux endroits ?
Cela dépend vraiment du pays et de la ville dont il est question. À Damas, il n’y avait rien d’officiel pour les hommes gays irakiens, qui ont donc crée leurs propres communautés capables de s’intégrer facilement au milieu gay syrien puisqu’ils parlent la même langue. À Istanbul, il y a une barrière linguistique pour les gays en provenance d’Iran et de Syrie, mais aussi d’autres difficultés liées au racisme de beaucoup d’organisations LGBTQ turques.
Il existe néanmoins à Istanbul plusieurs associations aidant les demandeurs d’asile et réfugiés LGBTQ de différentes manières, que ce soit en leur proposant des examens de santé, un soutien psychologique ou même en les guidant tout au long du processus de demande d’asile.
Dans les villes turques les plus isolées où ont été placés beaucoup d'Iraniens, comme Isparta, Denizli, Kayseri et Eskisehir, il n’y a presque aucun soutien sur le terrain. Cela conduit la plupart des hommes gays iraniens qui y habitent à se tourner pour trouver de l'aide vers des groupe de soutien en ligne et des organisations queer iraniennes basées par exemple au Canada ou à Istanbul.

Arkan, 20 ans, de Sanandaj, en Iran, skype avec son amie de Kayseri, en Turquie, 2012.
Identifiée comme transgenre, Arkan dit "la vie en Iran était devenue impossible pour bien des raisons". Après une longue attente en Turquie, Arkan a été réinstallée au Texas, aux Etats-Unis, où sa copine, iranienne, vit également. L'homosexualité est considérée comme un crime en Iran, bien qu'être trans-genre soit permis. Le gouvernement iranien permet des prêts pour les personnes ayant recours à la chirurgie pour corriger leur genre. Les stigmatisations sociales conduisent cependant beaucoup de personnes trans-genre à quitter le pays.

Bissam est un acteur irakien, anciennement traducteur pour l'armée américaine. Ici, Bissam regarde une série télévisée syrienne (un peu comme celles dans lesquelles ils jouaient à Baghdad) dans son étroite chambre qu'il loue dans la vieille ville de Damas.
Bissam vit aujourd'hui à San Francisco, aux Etats-Unis, où il a obtenu l'asile après 5 ans d'attente en Syrie, et deux ans de plus en Turquie ou il avait été déplacé.
Vous avez suivi la vie quotidienne de Hussein Sabat, qui a remporté le concours Mister Gay Syria ayant eu lieu à Istanbul afin de représenter la Syrie au concours Mister Gay World. La représentation de la Syrie dans un tel concours peut-elle contribuer à l’évolution des consciences dans le pays ?
L’organisateur du concours Mister Gay Syria, Mahmoud Hassino, est un ami proche que j’ai rencontré à Damas en 2010. En mettant en place ce concours, il cherchait à mettre en lumière les difficultés rencontrées par les réfugiés syriens gays et LGBTQ en Turquie et ailleurs dans le monde.
On a souvent dit à Mahmoud et Hussein qu’il y avait en ce moment en Syrie des choses plus importantes sur lesquelles se concentrer que les droits des gays et des LGBTQ, pourtant cibles d’énormes discriminations, à l’intérieur de leur pays comme à l’étranger.
Le commerce du sexe est un véritable problème et beaucoup d’homosexuels syriens sont contraints ou décident pour des raisons financières de travailler dans l’industrie du sexe pour gagner de l’argent (un sujet que j’ai abordé dans ma série photographique SEXugees), principalement à Istanbul, Beyrouth ou en Europe de l’Ouest.
Personnellement, je ne suis pas certain qu’avoir un candidat syrien au concours Mister Gay World en 2016 (c’est finalement Mahmoud Hassino qui a représenté le pays, Hussein Sabat n’ayant pas réussi à obtenir un visa pour Malte) permette immédiatement de faire avancer les droits des homosexuels en Syrie, mais je suis convaincu que cela a contribué à mettre en évidence la condition des réfugiés syriens LGBTQ dans le monde. C’est pour cela qu’il est important d’en parler, un documentaire (NDLR : "Mr. Gay Syria" de Ayşe Toprak, sorti en 2017) a été réalisé dans cette optique, tout comme ma série photographique sur les participants et le concours lui-même.
Les cinq hommes qui ont participé ont été incroyablement courageux de montrer leur visage, et de se produire en face d’un public à Istanbul malgré de réelles menaces de violence. Aujourd’hui, ils ont tous été réinstallés dans différents pays européens.
Combien de temps peut prendre une procédure de réinstallation dans un pays tiers par le HCR ?
Encore une fois, la réponse n’est pas simple car elle dépend de plusieurs facteurs comme la législation du pays où est présentée la demande de réinstallation, la situation de la communauté LGBTQ là-bas, ou encore de la nationalité de la personne demandant l’asile et la réinstallation.
Pour les LGBTQ iraniens, ce processus prenait auparavant entre 12 et 24 mois en Turquie. Cependant, avec l’afflux important de réfugiés syriens dans le pays, la priorité leur a été donnée aux dépens des autres. Les Iraniens doivent maintenant attendre entre 3 et 4 ans pour obtenir un premier entretien en Turquie, alors que les Syriens sont en moyenne réinstallés en 6 à 12 mois.
Toutes les demandes de réinstallation aux États-Unis des LGBTQ iraniens, syriens et irakiens ont été annulées depuis l’interdiction de voyager émise par le Président Trump contre les ressortissants de ces pays, ce qui limite encore plus leurs possibilités. La grande majorité des homosexuels iraniens sont réinstallés au Canada, alors que les homosexuels syriens sont acceptés dans des pays d’Europe de l’Ouest, surtout depuis le meurtre homophobe d’un Syrien gay à Istanbul il y a quelques années.
Pour les homosexuels irakiens en Syrie, que j’ai côtoyés pendant plusieurs mois, le processus était bien plus compliqué. Beaucoup d’entre eux devaient ainsi attendre pendant plusieurs années sans avoir aucune nouvelle. Bissam, un homosexuel irakien que j’ai suivi pendant plusieurs années, a attendu cinq ans en Syrie avant devoir tout recommencer en Turquie quand il s’y est réfugié au début du conflit. Il a alors dû attendre deux années supplémentaires, avant de finalement être réinstallé aux États-Unis où il vit actuellement.

Hussein Sabat, Gagant et détenant du titre de Mister Gay Syria 2016, se tient à l'entrée d'un café Gay Friendly à Mis-Sokak, près de la Place Taksim à Istanbul. Des émeutes policières passent pour emepecher la marche LGBTI d'avoir lieu. La marche a finalement été interdite pour des raisons de sécurité.

Pont du President, Damas, Syrie, 2010. Bissam et Abdul se promènent ensemble dans la nuit, quand la communauté gay devient plus visible dans les rues. Ils sont tout les deux gays et iraquiens, et craignaient pour leur sécurité en Syrie, pays dans lequel l'homosexualité est un crime. Depuis, Bissam a été réinstallé aux Etats-Unis et Abdul aux Pays-Bas.
Les hommes que vous photographiez prennent-ils un risque en posant devant votre appareil ?
L'exposition et la visibilité comprennent inévitablement certains risques et peuvent être dangereuses pour les personnes que je photographie. Cela reste cependant toujours leur décision personnelle et, comme on peut le voir, beaucoup des photographies de mon actuel projet préservent l'identité de ceux qui y ont accepté d'y participer en évitant de dévoiler leur visage. C'est pour cela qu'il est très important que je prenne le temps d'avoir en premier lieu une longue discussion avec l'individu que je souhaite photographier. Je lui explique mon travail, où les photographies seront vues, mais aussi les potentiels risques. La plupart du temps, ils acceptent d'être exposés afin de montrer aux LGBTQ de leur pays qu'il existe d'autres gens comme eux. Pour certains, les risques sont trop élevés, et nous travaillons alors sur une manière de raconter visuellement leur histoire et de faire leur portrait sans dévoiler leur visage.
J’aimerais ajouter que l’asile pour les personnes LGBTQ est une question complexe, pouvant par exemple susciter un sentiment de culpabilité chez les membres de la communauté les plus actifs politiquement lorsqu’ils quittent leur pays et s’installent à l’étranger. Beaucoup ne pensent pas que l’évacuation et la réinstallation des LGBTQ originaires de pays où ils sont discriminés soit une véritable solution à long terme, mais plutôt une manière de poursuivre leur activisme tout en restant en sécurité, et de continuer à aider ceux qui sont encore dans leur pays.
Finalement, j’aimerais également dire qu’il existe des communautés et des milieux LGBTQ et gays dans tous les pays dont je parle : en Syrie, Irak, Turquie, Liban et ailleurs dans la région. Ces communautés ne sont peut-être pas les mêmes, pas aussi publiques que celles que l’ont trouve en Europe, mais elles existent, elles sont là, les gens font la fête et se rencontrent, sortent ensemble, s’aiment et tout le reste.
Entretien par Mathilde Azoze
Traduit de l'anglais par Léo Samir Rougier